Un espoir de vaincre enfin le sida

L’idée d’éradiquer le VIH avec des traitements antirétroviraux fait son chemin. Mais de nombreuses questions scientifiques et éthiques persistent, qui ont été débattues à la 18e Conférence internationale sur le sida à Vienne.

Noëlle Guillon  • 26 août 2010 abonné·es
Un espoir de vaincre enfin le sida
© PHOTO : MUKHERE/AFP

Une reconnaissance attendue, mais pas encore totale. Le Pr Bernard Hirschel, invité à s’exprimer lors d’une des prestigieuses séances plénières de la 18e Conférence internationale de Vienne sur le sida, qui s’est tenue dans la ville autrichienne du 18 au 23 juillet, a pu savourer ce moment espéré depuis plus de deux ans. Le chercheur suisse est le père du « Treatment as prevention » ; il avait lancé cette théorie en 2008 dans son Swiss Statement en déclarant que les personnes séropositives traitées n’étaient quasiment pas contaminantes. Avec l’idée d’éradiquer l’épidémie par un accès large et précoce aux traitements et des dépistages massifs : la nouvelle stratégie « Test-and-treat », qui s’est répandue auprès du grand public ces derniers mois. D’abord très critiquée au sein de la communauté scientifique et militante, l’idée progresse mais ne peut encore s’envisager qu’avec précaution. Premier point délicat, les personnes traitées peuvent redevenir contaminantes en cas d’oubli de traitement. « Il faut faire attention, l’idée que le “test-and-treat” va fonctionner n’est pas encore totalement acquise. Il faut encore des recherches opérationnelles, notamment pour vérifier que les populations vont correctement suivre les traitements », tempère Jean-François Delfraissy, le directeur de l’Agence nationale de recherche sur le sida.

Le Pr Hirschel est maintenant largement soutenu. « Pour la première fois depuis le développement de traitements efficaces pour le maintien en vie des personnes infectées par le VIH, il y a des preuves d’une possible nouvelle donne. Un accès continu et large aux traitements antirétroviraux peut aider à faire reculer l’épidémie », a déclaré le Dr Julio Montaner, président de la Conférence. Les preuves ont été égrenées par le Pr Hirschel. Il a cité notamment deux études, menées en Ouganda et à Madrid sur des couples hétérosexuels sérodifférents, qui montrent que, quand le nombre de virus circulant dans le sang est bas sous traitement, on n’observe pas de transmission. Conclusion : « Les traitements antirétroviraux sont potentiellement plus efficaces que n’importe quelle méthode de prévention préalablement évaluée. » La consécration vient notamment d’une étude publiée par Julio Montaner le 8 juillet et portant sur une population d’usagers de drogues injectables dans la province canadienne de Colombie-Britannique. Elle suggère que placer les personnes vivant avec le VIH sous trithérapie divise par deux le nombre de nouveaux cas d’infection dans cette population. Fort de ces premiers résultats ­encou­rageants, Bernard Hirschel va lancer une étude importante en Afrique du Sud sur le sujet.

Des voix s’élèvent cependant pour modérer l’enthousiasme. Jean-Michel Livrozet, responsable de l’unité de consultations de l’immunodéficience humaine à l’hôpital Édouard-Herriot de Lyon, s’appuie sur une étude présentée à Vienne et montrant une résurgence de l’épidémie dans une population homosexuelle traitée à Sydney. En cause : une plus grande prise de risque, une désinhibition due à la croyance, fausse, d’être à 100 % protégé. « La méthode est intéressante au niveau collectif, pour faire reculer l’épidémie dans une population totale, mais elle n’est pas infaillible au niveau individuel », rappelle le généraliste. Et certains vont jusqu’à penser que trop miser sur ce nouvel outil pourrait être préjudiciable à long terme. « Des fonds pourraient être perdus pour les méthodes de prévention classiques, préservatif en tête, alors que l’on ne sait rien pour le moment des phénomènes de ­prises de risque qui vont accompagner ce nouveau type de prévention » , s’inquiète Nathalie Bajos, sociologue à l’Inserm. Les essais pour le « test-and-treat » sont onéreux, 12 millions pour l’essai sud-africain, selon Jean-François Delfraissy. Et ce n’est là que le début du casse-tête financier.

Un peu plus de 5 millions de personnes sont actuellement traitées pour le VIH dans le monde. 10 millions sont en attente. Ce chiffre pourrait monter à plus de 15 millions avec les nouvelles recommandations de traitement plus précoce de l’OMS. Selon l’Onusida, quelque 25 milliards de dollars seraient nécessaires cette année pour lutter contre le sida dans les pays les plus pauvres. Il manque 11,3 milliards, et Michel Kazatchkine, directeur du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, qui finance une bonne partie de la lutte contre la maladie, s’est déclaré « extrêmement inquiet » quant au renouvellement de ses fonds à l’automne. Dès lors, à qui donner le traitement ? Pour Jean-François ­Delfraissy, c’est une question d’urgence, « en Afrique, des gens meurent faute d’accès aux traitements, ce qui est rare en France, où la prise en charge a fait du sida une maladie chronique ».

Pour Willy Rozenbaum, codécouvreur du virus et président du Conseil national du sida (CNS), le traitement doit d’abord rester une question individuelle. « Dans un pays comme la France, un tiers des personnes ­contaminées l’ignorent et sont responsables de 70 % des contaminations. » Le rapport Yeni de recommandations du groupe d’experts français pour la prise en charge médicale des personnes infectées par le VIH, présenté à Vienne, fait état de 50 000 personnes qui ignoreraient leur séropositivité en France. L’enjeu du « test-and-treat », c’est aussi le dépistage. Sur ce point, Willy Rozenbaum critique la politique de Roselyne Bachelot : « Il y a un blocage pour l’élargissement du dépistage, alors que ce serait coût-efficace en trois à cinq ans. » À Vienne, pas d’engagement de la ministre de la Santé sur la généralisation du dépistage rapide, qui permettrait d’atteindre des populations échappant au système de santé. « Il y a un ­lobbying évident des laboratoires d’analyse, qui ne veulent pas déléguer à des non-professionnels la possibilité de pratiquer des tests simples et efficaces », regrette Jean-François Delfraissy.

L’idée d’éradiquer le VIH par le traitement a encore du chemin à parcourir. Elle soulève de nombreuses questions, notamment éthiques. Certains ­craignent des dépistages forcés, surtout en Afrique. Nathalie Bajos s’inquiète aussi des répercussions sociales en France. « Nous sommes entrés dans l’ère de la médicamentation comme prévention. Mais quels seront les risques de faire peser la prévention uniquement sur des malades, en termes de stigmatisation ? » Le plus sage, pour l’heure, reste de défendre une prévention plurielle et combinée : traitements et préservatifs.

Société
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