Courrier des lecteurs n° 1118
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Paul Noirot nous laisse ses combats en héritage
Ancien communiste, grand résistant, Paul Noirot
(de son vrai nom Henri Blanc), qui vient de disparaître à 86 ans, avait fondé Politique aujourd’hui puis, en 1970, Politique Hebdo, qui peut-être considéré comme l’ancêtre de Politis. Comme Claude-Marie Vadrot, Bernard Langlois y collabora avant de participer à la fondation de Politis. Nous avions publié un entretien avec Paul Noirot dans Politis n° 1062.
Quand on perd quelqu’un qui a compté, pour soi et pour beaucoup d’autres, on échappe rarement à un piège : se raconter à travers celui qui a disparu. Donc… Paul fut mon rédacteur en chef à Politique Hebdo, où j’ai sévi plusieurs années sous le nom de Claude Boris. Il n’aurait pas apprécié que je pleurniche et le couvre trop de fleurs. Nous partagions le fait d’être petits et plutôt rondouillards, aspect « rond » assez trompeur puisqu’il ne nous empêchait pas de nous engueuler souvent, lui l’ancien du Parti communiste un peu nostalgique, et moi l’ancien non repenti de la Fédération anarchiste. Lui, le journaliste engagé depuis toujours dans des organisations, et moi, le journaliste « bourgeois » qui ne demandait qu’à apprendre en découvrant un nouveau monde, celui des militants organisés. Alors j’ai beaucoup appris auprès de lui et de ses amis venus d’horizons que j’ignorais, appris de ses combats passés et de ses espoirs pour l’avenir.
Il avait l’espoir chevillé au corps, quoi qu’il décide d’entreprendre. Il m’a montré, notamment pour l’écologie, qu’il découvrit au début des années 1970, pour les femmes, pour lesquelles Évelyne Le Garrec lui apprit les revendications spécifiques, qu’il était possible d’évoluer et de comprendre la marche du temps. Il progressait souvent plus vite que les autres, gagnait chaque jour un peu plus de tolérance, fonçait sur les idées venues d’ailleurs et ne me reprocha jamais d’avoir affiché au-dessus de mon bureau : « Plus je connais les ex du parti, plus j’apprécie ceux qui y sont restés. » Il savait que cette apostrophe ne le concernait pas mais visait des carriéristes comme Ellenstein ou Adler (j’ai oublié les autres…), qui ont fini tous les deux dans les colonnes du Figaro. C’est-à-dire dans les poubelles de l’Histoire. Paul faisait partie, au contraire, des militants qui n’ont pas dit non pour faire carrière mais pour progresser et servir ses idées dans des combats renouvelés qui ne reniaient rien.
Cette longue expérience de Politique Hebdo et des discussions conduites par Paul explique certainement qu’après un long détour je sois revenu « chez moi », à Politis, dans la famille politique et idéologique qu’il m’avait offerte en partage. Même s’il ne s’est jamais fait beaucoup d’illusions sur ma rigueur idéologique. Il accusait en riant mon passage chez les libertaires et avait tout fait pour que je m’intègre à une famille de pensée que je n’avais jamais vraiment fréquentée. Il m’a permis de progresser, d’apprendre à réfléchir au moins un peu avant d’écrire. Ce qui nous opposa parfois : le reporter face à l’intellectuel.
S’il faut garder une image, je conserve celle d’un gueuleton à base de cassoulet que je fis un jour chez lui avec sa femme et la mienne, dans sa maison du Gers. Quelle belle soirée !
_ Claude-Marie Vadrot
Rom, cet inconnu
« Le gitan, le gitan, que tu ne connais pas… » La chanson de Daniel Guichard n’a jamais été autant d’actualité. En effet, on ne sait rien à son sujet, ou si peu. On ignore comment il vit, et de quoi. On ne sait même pas comment l’appeler (bohémien, gitan, manouche, romanichel, Tsigane…), encore moins qu’il est souvent français. Dès lors, on s’interroge, on suppute à son sujet ; on se méfie toujours de l’inconnu. Finalement, on l’accuse de tous les maux, on le méprise, on l’ignore, on le craint. Vient alors la répression légitimée par l’anathème politique. On l’expulse manu militari, on saisit sa caravane, éventuellement sa voiture (une grosse cylindrée, c’est toujours suspect !), voire on détruit son logis, on l’humilie, on l’arrête s’il le faut… pour les caméras. Bref, on s’agite ! Mais, en définitive, qu’est-ce qu’un Rom sinon un homme attaché à sa liberté, fidèle à l’apologue « le Loup et le Chien » de Jean de La Fontaine ?
_ Laurent Opsomer
Nous avons été nombreux à participer à la journée de manifestations du 7 septembre pour les retraites, qui est exemplaire par son caractère unitaire.
Mais dans l’appel intersyndical national pour ces manifestations, en date du 23 août, si l’exigence du maintien du droit à la retraite à 60 ans était rappelée avec force, la question de la durée minimum de cotisation n’était pas mentionnée.
Pourquoi cette omission ? Est-ce simplement pour ne pas faire un « catalogue » ?
Ou est-ce un signal suggérant que les confédérations ou une partie d’entre elles seraient prêtes à transiger sur une certaine augmentation de la durée de cotisation ? Ce qui reviendrait à accepter une décote pour tous ceux – et celles ! – qui n’ont pas le nombre de trimestres suffisant. Il est vrai que, selon le rapport de force à venir, les syndicats seront peut-être amenés à accepter des compromis, et il est difficile d’en juger à l’avance. Mais, au moment de mobiliser les salariés, on aurait plutôt attendu que les confédérations rappellent clairement les enjeux des revendications. Et si, ensuite, le rapport de force oblige à des compromis, ne vaudrait-il pas mieux envisager d’accepter une hausse des cotisations plutôt qu’un allongement de la durée de cotisation ? Cela pour réaffirmer le principe de solidarité.
_ Joël Martine, enseignant, Marseille
Le président rwandai s, Paul Kagamé, a été réélu cet été avec plus de 93 % des voix, score annoncé et célébré avant les résultats officiels ! Il a réussi sa réélection comme Mobutu Sésé Séko, Robert Mugabé, et quelques autres, en leur temps.
Paul Kagamé n’est pas un tendre, puisqu’il a été inclus dans la liste des dictateurs africains établie par la revue Foreign Policy en juin 2010. L’opposition, au Rwanda, est bâillonnée ; les candidats opposants crédibles avaient été obligés de renoncer à se présenter à l’élection présidentielle, ne laissant que des hommes de paille du FPR dans la course pour faire de la figuration. Il suffit d’accuser les opposants de nier ou même de minimiser le génocide de 1994 pour les emprisonner. Le dogme du génocide est aussi inattaquable au Rwanda qu’en Israël. Et on commet une abomination si, tout en reconnaissant le génocide de 1994, on aborde le sujet des Hutus massacrés par le FPR pendant et après la même période. Au tribunal d’Arusha, le sujet est d’ailleurs tabou.
Le miracle économique rwandais s’est fait aux dépens de la démocratie, et sa pérennité n’est donc assurée qu’à court terme. Connaissant les deux pays cousins, Burundi et Rwanda, il est intéressant de les comparer : le Burundi est une démocratie, qui fonctionne comme le peut une démocratie dans le contexte local et régional, tout entourée d’États autocratiques, et qui se développe à son rythme, alors que le Rwanda est une dictature implacable, qui semble effectivement se développer plus rapidement, plus artificiellement aussi, avec des frictions dans la population et en particulier à l’intérieur du parti-État du FPR.
Je terminerai en revenant sur l’attentat de 1994 contre l’avion transportant les deux présidents Habyarimana et Ntaryamira (le président burundais, qu’on a tendance à oublier dans cette affaire). L’hypothèse la plus probable reste qu’il a été commis par le FPR. Un Tutsi rwandais ne m’a-t-il pas dit, à Bujumbura : « À qui a profité le crime ? À Kagamé. Et le génocide fut un dommage collatéral a priori sous-estimé. » Quelle qu’elle soit, on ne peut qu’espérer que la vérité sera enfin connue un jour, dans l’intérêt du peuple rwandais et de ses voisins.
_ Jean-Michel Baryla, Puteaux
La vie sans papiers, avec RESF
Din Chinh T. est étudiant en France depuis six ans lorsqu’il se fait arrêter. Quand le commissariat appelle sa femme, elle ne réalise pas la gravité de la situation. Elle sait son mari sans papiers : redoublant cette année, il n’avait pu renouveler sa carte d’étudiant – les étrangers n’ont droit qu’à un redoublement dans tout leur cursus universitaire. Elle-même vient d’obtenir un master 2, ils se sentent parfaitement intégrés et viennent d’avoir un bébé. « Amenez-nous vos preuves de vie en France, mais pas son passeport, ça pourrait être dangereux ! » , prévient le policier au téléphone. Madame T. se rend donc au commissariat, son bébé sous le bras. Là, les choses se compliquent : son mari est transféré en centre de rétention, et le juge des libertés refuse de le relâcher faute de « preuves d’un logement fixe » . Madame T., dans son désarroi, a oublié les quittances de loyer ! Monsieur T. passera ainsi dix-sept jours en centre de rétention. Tous les jours, elle lui rendra visite avec son bébé de 3 mois, attendant devant les grilles, des heures durant, qu’on veuille bien la laisser rentrer. « Je n’ai jamais vu un bébé pleurer autant que cette toute petite fille » , témoigne un membre de RESF.
_ Rappel : 18 septembre 2010, Rock sans papiers, concert de soutien
aux sans-papiers à Bercy. www.rocksanspapiers.org