Euro : en sortir ou pas ?
dans l’hebdo N° 1116 Acheter ce numéro
Cette question est aujourd’hui soulevée, notamment dans le mouvement altermondialiste. Il s’agit sans doute d’un débat inévitable dans la situation actuelle, mais il s’appuie sur des analyses discutables et biaisées.
Tous les problèmes actuels proviendraient de l’impossibilité de monétiser la dette publique, autrement dit de l’interdiction faite aux banques centrales d’émettre de la monnaie : tel est le postulat sur lequel repose le raisonnement. Cette situation aurait pour origine la volonté des banques privées d’obtenir une prérogative, celle de créer de la monnaie, qui serait à la base de leurs profits extravagants. Cette vision plus ou moins « complotiste » selon laquelle les banques se seraient arrogé un privilège exorbitant est un peu décalée. On nous révèle, comme si c’était un secret détenu par quelques initiés, qu’en ouvrant une ligne de crédit
les banques créent de la monnaie. Ce secret de polichinelle est pourtant l’ordinaire des étudiants de première année d’économie : « Les crédits font les dépôts. » Mais peu importe : il suffit de fustiger les « sachants » qui prennent le peuple de haut.
Tout cela a quelque chose à voir avec l’Europe, puisque celle-ci a étendu le principe d’interdiction de la planche à billets. La séquence est alors la suivante : il faut faire financer le déficit par la Banque de France et, pour retrouver cet élément de souveraineté, il faut sortir de l’euro. L’idée d’une autre construction européenne est balayée comme étant hors de portée, tandis que la sortie de l’euro serait une mesure facile, à portée de main, et compréhensible par le plus grand nombre.
La sortie de l’euro n’a pourtant rien d’une voie royale, et on ne peut
en sous-estimer les risques. Sortir de l’euro, c’est dévaluer et, si cela s’accompagne en outre d’une émission de monnaie, on débouche sur une inflation incontrôlée. Autant une inflation modérée peut avoir des vertus en dégonflant les dettes, autant une inflation qui dérape débouche sur des plans d’austérité brutaux, sans doute pires que ceux que nous connaissons aujourd’hui. Certes, il faudrait les combattre et imposer
une autre redistribution des richesses, mais cela prouve que des mesures techniques (sortie de l’euro et planche
à billets) ne peuvent dispenser des affrontements sociaux.
Cette idée simple, voire simpliste, selon laquelle
la monétarisation de la dette est la solution passe-partout présente en outre un défaut majeur, celui d’entériner
le déficit. Au lieu de s’interroger sur les raisons de ce déficit et de montrer qu’il est le résultat des cadeaux fiscaux, on va expliquer que la sortie de l’euro permettrait de le combler
en fabriquant des francs. C’est faire fausse route :
la priorité, dans la conjoncture actuelle, c’est de mettre
en avant la nécessité d’une réforme fiscale qui revienne
sur toutes les exonérations qui sont les causes du déficit. Au moment où se prépare un budget de rigueur extrême, la question de savoir si on va baisser
les dépenses publiques ou augmenter les recettes est en effet strictement équivalente à celle-ci : qui va payer les pots cassés de la crise ?
Une mesure (parmi d’autres) permettrait de faire d’une pierre deux coups : elle consisterait à imposer aux banques un plancher de titres de la dette publique
à une très faible rémunération. On assurerait ainsi une source de financement au budget de l’État, et cette norme ferait fonction de règle prudentielle. Les banques paieraient ainsi la garantie de fait que l’État leur assure en temps de crise.
Au niveau européen, le choix semble être entre une aventure hasardeuse – la sortie de l’euro – et une harmonisation utopique. Pour sortir de ce dilemme, il faut imaginer une stratégie combinée : un pays prendrait des mesures unilatérales tout en proposant leur extension au niveau européen, en s’appuyant sur leur caractère coopératif. Les libéraux et les souverainistes s’accordent pour dire que cette voie est impraticable, les uns pour préserver les normes néolibérales, les autres
pour faire de la sortie de l’euro le préalable à toute alternative. Or, cette idée est fausse, par exemple en ce qui concerne la taxation et le contrôle des capitaux,
et elle nous enferme dans une impasse stérile.