Fauchage d’OGM : la vigne qui cache la forêt
Des pieds de vigne transgéniques ont été arrachés le 15 août dans un champ expérimental de l’Inra à Colmar. Au-delà du débat sur la sécurité des OGM, l’affaire révèle une politique tournée vers les agro-industries. D’autres façons d’innover existent pourtant, soulignent des chercheurs.
dans l’hebdo N° 1116 Acheter ce numéro
Les vignes OGM déterrées le 15 août dans un champ expérimental de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) à Colmar exhument une réalité souterraine complexe et ramifiée. Celle de la privatisation d’un institut de recherche public. L’organisme de recherche appliquée a de plus en plus de mal à développer des approches suffisamment plurielles pour permettre au plus grand nombre d’en bénéficier.
Pierre-Henri Gouyon, professeur au Muséum d’histoire naturelle, généticien et détracteur des OGM, exprime le fond du problème : « Avec cette vigne, c’est une perte de temps d’évoquer les risques, qui sont ici minimes. L’enjeu, c’est le lobbying qui sous-tend cette affaire. Cette vigne est un cheval de Troie. » Selon lui, et pour des syndicats comme SUD, la Confédération paysanne ou encore Greenpeace, cette vigne résistante au court-noué, une maladie virale courante, servirait d’instrument de passage en force des OGM. Olivier Le Gall, chef du département Santé des plantes et environnement à l’Inra, qui coordonne l’étude, reconnaît que « cette vigne était un bon support de discussion » . L’étude a d’ailleurs fait l’objet d’une mise en place concertée, avec un comité de suivi local incluant des ONG environnementales. Pour Guy Kastler, de la Confédération paysanne, associée à la concertation, le dialogue était biaisé pour des raisons politiques dès le départ : « Les seules informations données au comité de suivi provenaient de l’organisme consulteur ! » À la suite de la visite de Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et de Bruno Le Maire, ministre de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche, le 24 août, sur le site de Colmar, la Confédération paysanne dénonce « un objectif politique et non une question scientifique pour résoudre le problème du court-noué ». Un pas de plus dans la rupture du moratoire sur les OGM, après l’autorisation de commercialisation et de culture le 25 juillet de deux variétés de maïs transgéniques du groupe Maïsadour.
Pour comprendre cet empressement de la France à revenir en force sur la scène OGM, il faut s’intéresser à la politique de l’Inra sur les biotechnologies au cours des dix dernières années. En 1999, les ministères de la Recherche et de l’Agriculture lancent le programme Génoplante de financement de la recherche moléculaire pour l’amélioration des plantes. Un budget de 391 millions d’euros qui a profondément modifié le visage de la recherche dans ce domaine, crucial par ses enjeux alimentaires. Christophe Bonneuil, historien des sciences au CNRS, a été consulté par l’Inra en 2001 pour la production d’un rapport sur la pertinence des recherches en biotechnologie. Il a depuis sorti un livre sur le sujet en octobre 2009, Gènes, pouvoirs et profits. Et a été désavoué par l’organisme qui l’avait sollicité. « Génoplante est conçu, par le ministère, comme un appui aux champions économiques nationaux » , écrit-il dans son ouvrage. Car derrière Génoplante il y a entre autres Limagrain, numéro quatre mondial des semences, et Rhône-Poulenc, qui espère récupérer de nouvelles molécules valorisables.
Le fonctionnement même de Génoplante est sournois. « Pour être accepté, un projet devait comporter une collaboration avec une entreprise privée. Or, les fonds étaient majoritairement publics [à hauteur de près de 75 %, NDLR]. C’est du détournement d’argent public à destination d’intérêts privés ! », dénonce Isabelle Goldringer, généticienne à l’Inra, syndiquée à SUD. Historiquement, l’une des vocations de l’Inra était de répondre aux besoins de création de nouvelles variétés. Une prérogative perdue depuis quelques années. « Avant, l’Inra travaillait en lien avec les agriculteurs ; ceux-ci sont remplacés par les industries semencières », déplore Christophe Bonneuil. Alors que dans les années 1970 l’Inra disposait d’environ 70 programmes de création de nouvelles espèces, il n’en poursuit que 7 ou 8 actuellement. Une réalité dommageable surtout pour les espèces rustiques ou présentant des résistances naturelles aux agresseurs, qui n’intéressent pas le privé. « Maintenant, l’Inra s’est transformé en service de recherche en génomique, pourvoyeur de gènes intéressants pour les firmes », souligne le chercheur.
Cette tendance s’intensifie via de nouvelles entités, la filiale Inra Transfert, spécialisée dans le dépôt de brevet sur le vivant, ou encore Agro Biotech Accélérateur, une joint venture (coentreprise) entre Inra Transfert et le fonds d’investissement Seventure Partners, de Natixis. Leur objectif ? Soutenir l’émergence de start-up à valoriser en Bourse. « Le partenariat avec le privé n’est pas une mauvaise chose en soi, explique Jean-Louis Durand, de la CGT-Inra, ce qui est dommageable, c’est de voir que sont engagés des choix stratégiques qui ne relèvent plus de la science. Avec la combinaison d’approches, l’Inra répondait à des questions agronomiques, elles sont remplacées par des objectifs posés dès le départ. »
La compromission menace les chercheurs. Le nouveau point de crispation entre pouvoirs publics et syndicats, ce sont des primes d’excellence et, plus récemment, des primes d’intéressement. L’idée est de récompenser les chercheurs les plus méritants par des gratifications personnelles. En pratique, les exposer à la tentation de recherches à court terme et directement valorisables. « Ces rémunérations vont casser l’esprit d’équipe. Il est même prévu de les rendre secrètes. Cacher l’excellence, ça en dit long sur la moralité de la chose ! » , s’indigne Jean-Louis Durand. Un outil de plus en tout cas pour séduire des chercheurs perméables aux théories dominantes de l’agro-industrie. Il relativise tout de même : « Le chercheur-manager reste encore un mythe, mais la morale change. Le danger, c’est de perdre de vue la question fondamentale, celle de l’agriculture que nous voulons. »