Fraternelle cruauté

« Enlèvement avec rançon », d’Yves Ravey, est un faux polar
qui bouscule les certitudes du lecteur.

Christophe Kantcheff  • 16 septembre 2010 abonné·es

Les livres d’Yves Ravey sont agis par des forces à bascule. Alors que leur mouvement général semble aller dans une direction, quelque chose, soudain, se retourne, et les perspectives se renversent. Le lecteur se croyait lancé sur une voie en ligne droite, celle-ci s’incurve, et l’entraîne, non à rebrousse-chemin mais là où l’ombre devient lumière, le faible fort, le drame tragédie.
Enlèvement avec rançon fonctionne ainsi à la perfection. Deux frères qui ne se sont pas vus depuis vingt ans, Max et Jerry, ont entrepris de ­prendre en otage Samantha Pourcelot. C’est la fille du patron de Max. Elle a un gros défaut : elle ne répond pas aux avances de ce dernier. Les deux frères ont décidé d’extorquer un ­demi-million d’euros à Pourcelot père. Tout semble avoir été calculé au ­milli­mètre par Jerry, venu clandestinement ­d’Afghanistan, où il appartient à une organisation secrète dont les activités sont peu amènes.

La fille est kidnappée sans accroc, la rançon mobilisée par M. Pourcelot par le biais de son comptable, qui n’est autre que Max, qui continue à travailler dans l’entreprise comme si de rien n’était. La mécanique du rapt paraît inéluctablement enclenchée, d’autant que la phrase précise et sobre d’Yves Ravey déroule la succession des faits au rythme d’une horloge. Même s’il a choisi Max pour narrateur, celui-ci livre très peu d’impressions personnelles, se montre avare de sa subjectivité. Cependant, c’est parce que Max perçoit quelque chose qui ne lui plaît absolument pas – un probable rapprochement amoureux entre Samantha et son frère, qui va bien au-delà du syndrome de Stockholm – que les événements vont ­prendre une tout autre tournure.
Les plans se dérèglent. Ou semblent se dérégler. Max se lance dans une série de mensonges qui devraient, en toute logique, se retourner contre lui. Il agit pourtant avec sang-froid. Dès lors, le lecteur n’est plus sûr de rien. Qui maîtrise quoi dans cette histoire ? Il s’interroge sur le ­moindre détail. Pourquoi, par exemple, M. Pourcelot passe-t-il du vouvoiement au tutoiement avec Max en cours de roman ? Mystère.

Enlèvement avec rançon est un faux polar. Encore plus terrifiant qu’un vrai. Il raconte la confrontation entre deux frères dont on sait dès la première page que leurs rapports ont toujours été tendus. L’un est dominant – Jerry, celui qui sait, décide, commande –, l’autre dominé – Max –, mais ces rôles sont loin d’être figés. Dans ce roman machiavélique, fraternité rime avec un seul mot : cruauté. Jusqu’à ce que plus rien ­d’autre n’existe.

Culture
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