« La loi est inapplicable »
Secrétaire général de la Fnath, association des accidentés de la vie, Arnaud de Broca estime que le projet de réforme des retraites doit élargir le champ des risques professionnels.
dans l’hebdo N° 1116 Acheter ce numéro
Politis : Qu’est qui ne va pas dans le projet de réforme des retraites ?
Arnaud de Broca I La santé au travail et la pénibilité sont devenues un enjeu majeur, notamment avec la mise en évidence des risques psychosociaux. Les conditions de travail poussent à une dégradation de la santé plutôt qu’à une amélioration. On sait aussi que l’on ne va pas pouvoir reculer l’âge de départ à la retraite sans se pencher fortement sur les questions de santé au travail et de prévention.
Certes, ce n’est pas à la réforme des retraites de traiter tous les problèmes liés aux conditions de travail, mais avec le recul de l’âge de départ, jusqu’à 67 ans pour avoir une retraite à taux plein, la plupart des seniors auront des chances réduites d’y arriver. Or, le projet de réforme méconnaît la réalité des conditions de travail et l’état de santé des salariés âgés. Ainsi, les personnes qui souffrent de troubles musculo-squelettiques (TMS) ne répondront pas aux critères exigés par la réforme. Le projet de réforme est centré sur la maladie et l’invalidité, mais pas sur la pénibilité.
Que pensez-vous du choix de justifier d’un taux d’incapacité de 20 % pour obtenir une retraite à 60 ans ?
La pénibilité ne doit pas être réduite à un taux d’incapacité. N’oublions pas que le fait d’exercer plus ou moins longtemps des métiers pénibles, de travailler de nuit ou d’être exposé à des cancérogènes diminue l’espérance de vie. Pour prendre en compte cette baisse d’espérance de vie, il faut un dispositif permettant de partir plus tôt à la retraite. Or, à 60 ans, les personnes exposées à des substances cancérogènes n’ont pas forcément un taux d’incapacité d’au moins 20 %, alors qu’un cancer professionnel va se déclarer après.
Il faut introduire l’exposition aux cancérogènes dans le projet de réforme, mais pas comme le souhaite le gouvernement, c’est-à-dire en ne tenant compte que des personnes malades. Je prends comme exemple le président de la Fnath de Paris, décédé début juillet à 61 ans. Son cancer professionnel a été diagnostiqué deux mois avant son décès. À 60 ans, il n’était pas malade.
En l’état, le texte est-il applicable ?
Le gouvernement a pensé son dispositif en termes comptables. On retrouve dans ce texte les idées défendues par le Medef, c’est-à-dire une analyse individuelle et médicale. En revanche, le gouvernement n’a pas suivi l’organisation patronale sur le financement de la pénibilité, qui sera assuré par la branche de la Sécurité sociale accidents du travail-maladies professionnelles.
Au-delà de ça, la rédaction actuelle de la loi est inapplicable et engendrera un nombre de contentieux majeurs. Le texte fixe un taux d’incapacité de 20 % pour les maladies professionnelles comme pour les accidents du travail, avec des pathologies identiques. On ne sait pas ce que cela veut dire. Un accident du travail indemnisé dans les mêmes conditions qu’une maladie professionnelle ne veut rien dire juridiquement.
Que proposez-vous ?
Il faut un système qui s’inspire de celui mis en place pour l’amiante. Les travailleurs de l’amiante ont droit à une allocation de cessation anticipée d’activité, ce qui les fait partir bien avant 60 ans. Et il devrait s’appliquer à ceux qui sont soumis au travail de nuit, qu’on peut précisément évaluer sur les feuilles de paie, ainsi qu’à ceux qui ont été exposés à des cancérogènes, car on peut savoir s’ils ont bénéficié ou non d’une surveillance médicale renforcée. On propose de baisser à 10 % le taux d’incapacité pour partir en retraite et, surtout, il faut introduire un système complémentaire pour les personnes qui n’entreraient pas dans le dispositif gouvernemental, ce qui leur permettrait d’obtenir une reconnaissance en maladie professionnelle. On a aussi beaucoup de chemin à faire pour améliorer la médecine et l’inspection du travail.