Là où la mémoire fait mal
dans l’hebdo N° 1119 Acheter ce numéro
Rachid Bouchareb serait-il en passe de devenir le réalisateur des films qui appuient là où la mémoire fait mal ? On se souvient qu’en 2006, le jour de la sortie d’ Indigènes , bénéficiant également de l’effet médiatique cannois, le Président de l’époque, Jacques Chirac, avait décidé de supprimer une injustice en harmonisant les pensions des anciens combattants coloniaux, qu’ils soient français ou étrangers. Hors-la-loi , lui, a d’abord été la cible des vieilles haines rancies toujours promptes à ressurgir, surtout en ces temps nauséeux de sarkozysme. Hors-la-loi, ou plus exactement l’idée a priori que s’en sont faite des esprits nostalgiques de la « puissance » coloniale française, partisans d’une censure décomplexée qui ne s’embarrasse pas même de voir au préalable les œuvres. Plus inquiétant encore : un ministre faisant étudier le scénario par ses services, ou, récemment, le CSA, sensibilisé par des associations de pieds-noirs, sortant de ses prérogatives pour réclamer auprès de France 2, coproductrice d’ Hors-la-loi , l’organisation d’un débat le jour de sa sortie. Demande heureusement restée sans suite.
Le débat, cependant, est nécessaire. Maintenant qu’ Hors-la-loi est sur les écrans, les historiens vont pouvoir en livrer sereinement leur lecture, comme le fait ici Gilles Manceron, qui renverse la perspective critique par rapport à la polémique, en soulignant l’un des plus gros défauts du film : la faiblesse de la représentation des anticolonialistes en France pendant la guerre d’Algérie. Est aussi venu le temps de se rappeler qu’ Hors-la-loi est avant tout un film, avec des prétentions artistiques. Beaucoup plus proche, de ce point de vue, d’un Borsalino du dimanche soir, que des splendeurs du Scarface d’Howard Hawks ou de celui de Brian de Palma, que Rachid Bouchareb, pourtant, imite dans quelques séquences avec une grande maladresse. Il en va ainsi avec certains films : ils déclenchent beaucoup plus de discours qu’ils ne proposent de cinéma.