Le bras de fer continue

Malgré l’ampleur de la contestation contre la réforme des retraites, Nicolas Sarkozy et son gouvernement sont décidés à en maintenir l’essentiel. Au risque de la radicalisation.

Thierry Brun  • 9 septembre 2010 abonné·es
Le bras de fer continue
© PHOTO : MICHEL SOUDAIS

«On avait des acquis sur la pénibilité pour notre retraite, mais avec la réforme on ne sait pas ce qu’ils vont devenir. On est prêt à travailler un peu plus, mais pas jusqu’à 60 ans » , raconte devant ses collègues ce sapeur-pompier professionnel venu de Versailles à Paris pour manifester de la place de la République à Nation. Il se dit motivé et participe à sa première manifestation sur les retraites. Comme beaucoup, il souligne les injustices créées par le ­projet de réforme. La CFDT en a fait un slogan pour l’occasion : « Retraites : contre une loi injuste, pour une réforme équitable ». Et la CGT a distribué des autocollants sur le thème : « Retraite, pour une réforme juste ». Plus radicaux, FO et Solidaires affichaient leur exigence d’un retrait du projet du gouvernement.

« C’est une accumulation de beaucoup de choses » qui a fait se déplacer pour la première fois Nathalie, chef de projet scientifique dans une agence. « Il y a des choses à réformer, à adapter, admet-elle, mais pas en nivelant pas le bas, comme le gouvernement souhaite le faire. » Nathalie fait partie « des gens qui ont commencé à travailler très tard. Soit il me faudra une retraite complémentaire, soit je me tue au travail. Mais je m’estime privilégiée, ce n’est pas pour ma propre personne que je suis là. »

« Le recul de la retraite est inacceptable pour les infirmières, les aides-soignantes, etc., qui travaillent de nuit, toujours debout. Ce n’est plus possible. On n’en peut plus » , déclare Marie-Christine Fararik, manipulatrice en radiologie à Clamart. « J’ai trente-cinq ans de carrière et j’ai commencé à 20 ans, ajoute-t-elle. Et je devrais continuer à travailler jusqu’à 57 ans ! » Cette syndicaliste de SUD Santé AP-HP, habituée des manifestations, estime qu’il n’y a pas que le problème des retraites dans le secteur de la santé et aborde celui des hôpitaux qui vont fermer, des services d’urgence, ainsi que les suppressions de postes. Jean-François, 53 ans, enseignant depuis une dizaine d’années et militant de la CNT, ajoute « la question de la répartition des richesses. Il faut trouver d’autres moyens de financement pour les retraites et taxer le capital. Il n’est pas normal que les salariés payent une fois de plus ».

La banderole de tête du cortège de la manifestation parisienne affichait un slogan qui ne visait pas que les retraites. Il élargissait la revendication aux emplois et aux salaires, alors que dans certaines villes, comme à Marseille, le propos était plus ciblé : « Pour l’abandon de ce projet gouvernemental, pour une véritable réforme des retraites ». Dans le cortège parisien, Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, gardait « espoir que le gouvernement prenne conscience que cette réforme ne peut pas passer » , et le numéro deux de la CFDT, Marcel Grignard, a évoqué une nouvelle mobilisation « le 18 ou 19 septembre, ou début octobre ». Au-delà de la rue, les Français ont massivement soutenu la journée du 7 septembre, et le gouvernement est
désormais face à un mouvement syndical qui a prouvé qu’il pouvait à nouveau mobiliser (2,5 millions de personnes, selon les syndicats, près de 900 000, selon la police).

L’Élysée comme Matignon ne veulent cependant rien lâcher sur le cœur de la réforme des retraites. Le Premier ministre, François Fillon, a même exhorté les députés UMP à « tenir la ligne » sur le report à 62 ans de l’âge légal de départ à la retraite et à 67 ans pour obtenir une pension sans décote. Les mobilisations se sont pourtant succédé crescendo en ce début de rentrée. Lundi 6, plusieurs milliers d’enseignants ont manifesté à Paris et en province à l’appel du Snes-FSU, principal syndicat du secondaire, pour protester notamment contre les suppressions de postes et la réforme de la formation des enseignants. Luc Chatel, ministre de l’Éducation nationale, n’a pas répondu aux demandes d’audience du Snes-FSU, majoritaire dans le second degré et seul syndicat à lancer un mot d’ordre de grève lundi et mardi, un appel « sans précédent depuis plus de quarante ans » . Ce premier coup de semonce pour le gouvernement n’a réuni que 30 % de ­grévistes le lundi, selon le Snes, mais la grève a été massive le lendemain.

Avec l’importante mobilisation de mardi, une nouvelle étape vient d’être franchie, et la réunion mercredi de l’intersyndicale pour décider de « l’après » sera suivie ce jeudi par d’autres, au niveau des fédérations professionnelles. Des assemblées générales ont d’ores et déjà été programmées dans les entreprises dès le 8 septembre, au deuxième jour de l’examen de la réforme à l’Assemblée nationale. Certains syndicats, notamment Solidaires, ont souhaité un nouveau rendez-vous dans la rue dès la semaine suivante avec grèves et manifestations. « L’idéal serait évidemment des mouvements de grève reconductible dans des secteurs clés », ne cache pas un responsable syndical. Pour sa part, le leader CGT des cheminots, Didier Le Reste, n’a pas écarté la possibilité d’une grève reconductible réclamée par d’autres syndicats de la SNCF, tout en précisant qu’il « faudra au préalable que d’autres secteurs professionnels viennent avec nous dans la bagarre » . Le mot d’ordre de retrait de la réforme sur les retraites a aussi été mis en avant dans certaines entreprises et dans quelques régions.

Les ténors syndicaux ont fait savoir que le mouvement n’allait pas s’arrêter le 7. Les syndicats veulent continuer de peser sur un débat parlementaire, que le gouvernement et Nicolas Sarkozy ont réduit à la portion congrue. Le vote du projet de loi est prévu le 15 septembre à l’Assemblée, et l’examen au Sénat en octobre s’achèvera par une adoption définitive fin octobre. L’heure est aussi au marchandage. Une chose « ne changera pas : le recul de l’âge de départ à 62 ans », a soutenu, lundi, Henri Guaino, conseiller spécial de Nicolas Sarkozy. Mais des amendements du gouvernement sont prévus sur les carrières longues, la pénibilité et les polypensionnés. Dans un entretien au Monde (du 7 septembre), le président du Sénat, Gérard Larcher, a annoncé que le Sénat s’apprêterait à se saisir d’un certain nombre de mesures, sur lesquelles le secrétaire général de la CFDT, François Chérèque, avait fait savoir qu’il attendait des ouvertures. Ces quelques concessions, déjà annoncées en juillet, ne devraient pas modifier le fond de la réforme phare du quinquennat.

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