Le PS cultive le flou
Les socialistes revendiquent le maintien de la retraite à 60 ans jusque dans les manifs. Mais, sur le fond du dossier, leurs propositions, présentées avec des variantes, sont loin de faire l’unanimité.
dans l’hebdo N° 1120 Acheter ce numéro
Les socialistes ne ratent plus une manifestation. Samedi, le PS devait tenir un Forum sur la sécurité ; il est reporté sine die. Du militant de base aux grands élus, tous les adhérents du PS sont appelés à soutenir les manifestations contre la réforme des retraites du gouvernement. Même ceux que l’on imaginait les plus réticents à battre le pavé cèdent à l’injonction collective : le cercle réformiste européen « Inventer à gauche » du député maire de Grenoble, Michel Destot, a lui aussi remis à une autre date le colloque franco-allemand qu’il devait tenir à Strasbourg pour que ses membres puissent être « pleinement présents et mobilisés aux côtés des syndicats et des salariés » . Mobilisés, oui. Mais sur quel mot d’ordre ?
L’abrogation de la loi ? Ségolène Royal a pu le laisser croire quand, le 9 septembre, sur France 2, où elle intervenait après François Fillon, elle avait déclaré « solennellement » que les socialistes « rétabliront la liberté de partir à 60 ans » et organiseront un référendum s’ils gagnent en 2012. À cette question d’une éventuelle abrogation, Martine Aubry, interrogée six jours plus tard par les journalistes de l’information sociale, s’était bornée à répondre : « On fera une autre réforme. » Face à ce flou, il n’est pas étonnant que près de deux tiers des Français ne croient pas que le PS rétablira l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans. Malgré une ligne officielle arrêtée le 18 mai et exposée dans un document de 8 pages, des nuances importantes subsistent au sein du PS, qui, pour coller au mouvement contre la réforme du gouvernement, évite de trop détailler son projet de réforme.
Exemple des nuances internes : lors de la manifestation du 23 septembre à Bordeaux, le PS local avait accepté d’accoler son logo sur une banderole commune à Europe Écologie, au Parti de gauche, à la Gauche unitaire et au Nouveau Parti anticapitaliste, qui réclamait le « retrait du projet de loi » et la « retraite à 60 ans à taux plein ». À Paris, en revanche, celle du PS francilien, plus évasive, se contentait de proclamer : « Une réforme juste est possible. » Un mot d’ordre cette fois conforme au discours officiel du PS, et sous lequel s’étaient regroupés Martine Aubry, Bertrand Delanoë, Benoît Hamon et nombre de figures de Solferino. Le PS « n’a jamais demandé la retraite à taux plein à 60 ans » , s’était récriée la maire de Lille, le 15 septembre, sur France Inter. Une affirmation vigoureusement contestée par Gérard Filoche. Ce dernier est toutefois bien seul à rappeler que le congrès de Dijon, en mai 2003, avait adopté à l’unanimité une motion, lue par François Hollande, dans laquelle le PS s’était engagé, s’il revenait aux affaires, à « abroger la loi Fillon » et à réinstaurer « la retraite à 60 ans à taux plein ». Martine Aubry ne l’ignore sans doute pas, mais toute à son souhait de diriger « un parti de gouvernement », la Première secrétaire souhaite, dit-elle, « être crédible » dans ce qu’elle propose.
Cette quête effrénée de crédibilité et de sérieux est aussi l’argument de ceux pour qui s’accrocher aux 60 ans n’est pas réaliste. On se souvient que Dominique Strauss-Kahn, deux jours après que le PS ait officialisé sa volonté de maintenir l’âge légal, avait expliqué, sur France 2, que les 60 ans n’étaient pour lui ni « un dogme » ni « un tabou » car « si on vit cent ans, on ne va pas continuer à avoir la retraite à 60 ans » . C’est aussi ce qui pousse des élus comme Gérard Collomb à presser Martine Aubry de tenir un *« langage de vérité » et à* « sortir du flou artistique » sur l’âge de départ à la retraite. Ces élus soulignent que le PS, en admettant un allongement de la durée de cotisation, a accepté que cet âge légal ne soit plus qu’une liberté assez virtuelle.
Dans le document adopté le 18 mai par son bureau national, le PS écrit en effet à la page 7 : « Jusqu’à 2020, des dispositions sont prévues concernant la durée de cotisation. » Une petite phrase par laquelle les socialistes actent l’allongement de la durée de cotisation de 40 à 41 ans et demi, instauré par la réforme Fillon de 2003 et qu’ils promettaient de revoir. De fait, quand la question est revenue en débat à l’Assemblée nationale, les députés PS ne s’y sont pas opposés. Dans le cas où « un allongement de la durée de cotisation devrait être envisagé » au-delà de 2020, le texte précise que « celui-ci ne devrait pas excéder la moitié des gains d’espérance de vie » , quand la droite estime que les deux tiers de l’espérance de vie gagnée doivent être consacrés à une augmentation du temps de travail.
Cette acceptation de l’allongement de la durée de cotisation – et la possibilité accordée à ceux qui le veulent de pouvoir travailler au-delà de la durée de cotisation nécessaire – est le point de divergence majeur entre les socialistes et le reste de la gauche, qui considère que cela alimentera le chômage et fera baisser le niveau des pensions des futures générations de retraités. Pour l’heure, personne ne souhaite polémiquer, afin de ne pas briser l’unité. Mais cette pomme de discorde dessine déjà l’un des débats futurs des campagnes présidentielle et législatives de 2012. Quelle que soit l’issue du mouvement social actuel.