Les producteurs de lait débordent
Étranglés par des prix trop bas, des éleveurs ont saccagé des stands au salon Space de Rennes, dont celui de la FNSEA. La crise d’un modèle de production, mais aussi d’une représentation syndicale obsolète.
dans l’hebdo N° 1119 Acheter ce numéro
«Oui, ça fout la rage ! » , lâche Gérard Durand. L’éleveur, secrétaire général de la Confédération paysanne Pays-de-Loire, a été interpellé mardi dernier à la suite de la mise à sac de plusieurs stands au salon de l’élevage Space, à Rennes. Visés : le ministère de l’Agriculture, le Cniel (interprofession laitière), FranceAgriMer (qui a absorbé l’ancien Office national du lait), ainsi que la FNSEA, le syndicat agricole majoritaire, dont le président, Jean-Michel Lemétayer (qui préside aussi le Space), s’est offusqué : « Il n’y a qu’en France que j’ai vu des paysans casser des paysans ! »
Au cœur de ce débordement, la crise du lait et la responsabilité de la FNSEA, « qui se vante régulièrement d’avancées “arrachées” au gouvernement, alors que notre situation n’évolue pas », s’élève Gérard Durand. Plainte syndicale récurrente : l’hégémonie de la FNSEA dans les structures du monde agricole, en connivence avec les gouvernements depuis une quarantaine d’années.
La crise du lait est montée d’un cran le 18 août à la suite d’un accord signé par l’interprofession de la filière. Les producteurs n’y ont pour représentant que la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL), branche spécialisée de la FNSEA. Elle a bien obtenu que le prix d’achat remonte à 300 euros la tonne de lait, mais la victoire n’est qu’apparente : il faudrait plus de 340 euros la tonne pour qu’un producteur conventionnel vive décemment [^2].
Le 3 juin 2009, en pleine crise de surproduction (voir encadré), la FNPL avait cédé à 260 euros la tonne ! « Une catastrophe, commente Gérard Durand. Cette date marque une vraie rupture de confiance vis-à-vis de la FNPL, que les producteurs ont massivement désavouée. »
Et le 18 août, lourde concession supplémentaire, la FNPL a consenti à ce que le prix au producteur soit indexé sur le cours allemand du lait, à raison de moins de 8 euros de différence par tonne ! « Le choix a été fait de donner la main à la grande distribution, qui entend renforcer sa compétitivité sur le marché européen. Ce qui passe par une limitation de la rémunération des producteurs », commente Dominique Lebreton, porte-parole de la Confédération paysanne Pays-de-Loire, également interpellé à Rennes.
« Les agriculteurs ont été battus parce qu’ils sont mal défendus par une FNPL affaiblie face à l’agro-industrie » , déplore Gérard Durand. Conséquence de la capitulation de juin 2009 : une hémorragie d’adhérents au sein de la branche lait de la FNSEA, notamment partis rejoindre la jeune Association des producteurs de lait indépendants (Apli), à l’initiative de quinze jours de « grève du lait » en octobre 2009.
Mardi dernier, l’Apli était à Rennes pour exprimer son mécontentement, aux côtés des syndicalistes de la Confédération paysanne et de la Coordination rurale (CR). Aussi, quand les représentants de la FNSEA se sont enfermés pour négocier en tête-à-tête – une fois de plus – avec le ministre de l’Agriculture, Bruno Lemaire, venu annoncer 300 millions d’euros d’aides à l’élevage [^3], les militants excédés sont passés à l’action [^4]. « Quand la majorité des producteurs de la profession se voit exclue et que ses représentants sont contenus par un cordon de CRS, c’est que ça va très mal », souligne Gérard Durand. Sur le terrain, l’exaspération monte depuis un an, témoigne Dominique Lebreton. « Les producteurs de lait ne voient pas la sortie, il faut s’attendre à des réactions incontrôlables. »
Depuis le 7 septembre, la Confédération paysanne a entrepris l’occupation de la Maison du lait, siège de l’interprofession laitière à Paris, pour dénoncer le scandale de la mainmise qu’y exerce la FNSEA « alors que tous les paysans contribuent à son budget », et revendiquer une représentation au sein du collège des producteurs. Assignée en référé avec demande d’astreinte de 50 000 euros par jour d’occupation, la Confédération paysanne a gagné une première bataille : la juge, estimant son combat légitime, a nommé la semaine dernière un médiateur afin de trouver une issue négociée sous deux semaines.
[^2]: Les bios, peu concernés par la flambée des prix des rations alimentaires (céréales et soja), s’en sortent bien mieux (voir Politis n° 1060).
[^3]: Une bonne partie devrait consister en de nouveaux prêts, après ceux de 2009, que les paysans ne parviennent pas à rembourser.
[^4]: La Confédération paysanne n’a pas pris part au saccage des stands.)