Les rapports qui font tousser
Le Conseil de l’Europe et vingt sénateurs ont publié cet été deux enquêtes explosives sur la gestion de la pandémie de grippe A. Dénonçant les conflits d’intérêts, ils accablent l’OMS et les autorités françaises.
dans l’hebdo N° 1119 Acheter ce numéro
Le document s’intitule : « La gestion de la pandémie H1N1 : nécessité de plus de transparences ». Un euphémisme à lire les vingt pages publiées le 4 juin par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) au terme de six mois de travail. L’APCE se dit « alarmée par la façon dont la grippe pandémique H1N1 a été gérée non seulement par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), mais aussi par les autorités de santé compétentes, tant au niveau de l’Union européenne qu’au niveau national… » Et de déplorer : « confusion des priorités », « gaspillage de fonds public », « installation d’un sentiment de crainte injustifié », « grave manque de transparence dans les prises de décisions », « préoccupations concernant l’influence que l’industrie pharmaceutique a pu exercer » et « exposition à des risques sanitaires »… Le tout ayant entraîné une chute de confiance des citoyens qui pourrait s’avérer désastreuse dans le cas d’une nouvelle pandémie.
C’est d’ailleurs ce qui a poussé Wolfgang Wodarg, médecin et épidémiologiste allemand, socialiste et membre de l’APCE, à réclamer une telle enquête. Choqué par l’échec des institutions internationales dans les dispositifs d’alerte, et le manque de critiques de la part des instituts nationaux, il confiait à l’Humanité, en janvier : « Un groupe de personnes à l’OMS est associé très étroitement à l’industrie pharmaceutique. » L’APCE pointe, entre autres, la « réticence » de l’OMS « à partager certaines informations essentielles » ainsi qu’un « manque de volonté à réviser son pronostic » . Elle dénonce le « manque de transparence concernant l’identité des experts dont les recommandations ont eu un impact majeur sur les budgets de santé publique et sur la santé des individus » (paragraphe 65).
Pourquoi ce rapport, explosif comparé à ceux de l’Office parlementaire des choix scientifiques et techniques et de l’Assemblée ( Politis n° 1111), n’a-t-il pas fait plus de remous depuis juin ? Certes, l’hystérie autour de la grippe est retombée. Mais les enquêtes se poursuivent. Deux sont très attendues, au sein de l’OMS et de la Collaboration Cochrane. Le 10 août, en annonçant la fin de la pandémie, l’OMS a tenté de répondre aux critiques de l’APCE et a rendu publique la liste de ses experts impliqués. Si elle reconnaît des « liens » avec des « entreprises », elle assure disposer de « systèmes » pour se protéger « d’avis faussés par des intérêts commerciaux ». Ce n’est pas l’avis du Sénat, qui publiait cinq jours avant les conclusions de six mois d’enquête « sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le gouvernement de la grippe A ».
À la suite de 48 auditions, la commission de vingt sénateurs présidée par François Autain a formulé 38 propositions qui convergent avec celles de l’APCE. L’OMS doit revoir la définition de la pandémie en intégrant le critère de gravité et améliorer « la gestion des conflits d’intérêts ». Aux autorités françaises, les sénateurs recommandent le renforcement de « la qualité de l’expertise sanitaire » et une réflexion sur « l’économie des contrats de fourniture de vaccins pandémiques ». En effet, les contrats passés avec les fournisseurs « se caractérisent par leur remarquable déséquilibre et par la légalité douteuse de certaines de leurs clauses » . Par exemple, la « clause scélérate » stipulant que l’État s’engageait à protéger les fournisseurs « contre les conséquences de toute réclamation ou action judiciaire » figure bien dans le contrat signé avec Novartis, contrairement à ce qu’a affirmé Roselyne Bachelot. Et comment comprendre que les États aient accepté sur les contrats une exigence de confidentialité « qui semblait peu compatible avec le droit à l’information des citoyens sur un sujet de cet ordre » ?