Pourquoi pas un référendum ?
dans l’hebdo N° 1117 Acheter ce numéro
Au soir de l’impressionnante journée de mobilisation de mardi, nous sommes sans doute nombreux à poser la même question : et maintenant ? Personne n’est en effet assez naïf pour imaginer que le gouvernement, prenant acte du nombre de manifestants qui ont battu en rangs serrés le pavé de nos villes, va aimablement rendre les armes. Pas même sous la forme apaisée de l’ouverture d’une négociation. Il ne le fera pas pour deux raisons. L’une est souvent, et à juste titre, invoquée dans les commentaires : ce serait pour Nicolas Sarkozy une défaite personnelle qui hypothéquerait gravement ses chances pour 2012. L’autre est plus profonde. La réforme des retraites va en effet bien au-delà de ce que ces deux mots suggèrent.
C’est une commande du Medef, et elle constitue la matrice d’une offensive sociale généralisée. Elle codifie un nouveau rapport de force qui aggraverait dans tous les secteurs de la société les déséquilibres et les injustices en les inscrivant dans la loi. Le « sarkozysme » faillirait donc à sa mission s’il renonçait après une journée de manifestations, fût-elle d’une ampleur exceptionnelle. La défaite ne serait pas seulement celle d’un homme et d’un gouvernement, mais d’une caste et d’une classe. Nous sommes ici dans le dur de la réalité sociale. Dans cette zone où Nicolas Sarkozy ne s’appartient plus tout à fait. On ne bougera donc pas de ce côté. Ce qui revient à dire que notre question, celle qui est sur toutes les lèvres après la journée de mardi, s’adresse à la gauche politique et syndicale, et à elle seule. Oui, et maintenant ?
Quand vous lirez ces lignes, vous aurez déjà une petite idée de la réponse. Selon la proximité ou l’éloignement de la prochaine journée de manifestation, on mesurera la détermination des directions syndicales. Celles-ci devaient, mercredi matin, fixer la date du prochain rendez-vous dans la rue. Mais il ne faut pas s’y tromper : les enjeux étant ce qu’ils sont, il faudra placer très haut la barre de la mobilisation pour espérer obtenir un recul du gouvernement. Car c’est finalement un trait singulier de nos institutions qu’il convient de méditer. Celles-ci ne connaissant en vérité qu’une seule élection – celle du président de la République au suffrage universel direct –, et cette élection se jouant de plus en plus grossièrement à l’émotion, l’exécutif peut agir sans l’ombre d’un mandat. Et les institutions ne nous proposent aucun recours. Aurions-nous seulement à notre portée des élections de mi-mandat, comme aux États-Unis, que le gouvernement serait contraint de prendre en considération la colère populaire. Faute d’une telle échéance, c’est la rue, et elle seule, qui peut entraver le projet gouvernemental. Notre système, qui concentre tout sur une présidentielle qui se gagne à coups de slogans approximatifs et anxiogènes, invite à la brutalité des rapports sociaux. D’autant plus que, depuis 1958, aucun président n’a jamais, à ce point, abusé de ce pouvoir conquis à l’esbroufe. En témoigne le mépris avec lequel il traite ces jours-ci la représentation, parlementaire, imposant un débat précipité mené par un ministre moralement disqualifié.
C’est à ce dilemme que se trouve confrontée la gauche aujourd’hui. Plusieurs voix se sont élevées pour demander un référendum. Ce serait en effet une réponse à la carence démocratique de notre système. Même au PS l’idée a ses (rares) partisans. Elle a aussi quelques adversaires résolus. Tant de considérations entrent en jeu ! Ne serait-ce que la hantise de devoir prendre des engagements au cas où le PS viendrait à gouverner en 2012. Qui jurerait aujourd’hui que M. Strauss-Kahn, si c’était lui (et pour ne parler que de lui), ferait une politique des retraites très différentes de celle de M. Sarkozy ? Qui oserait affirmer que le directeur du FMI représenterait des intérêts différents de ceux qu’incarne l’actuel président de la République ? Pas nous, en tout cas.
C’est donc naturellement du côté du Front de gauche et de Jean-Luc Mélenchon que l’idée d’un référendum est affirmée avec le plus de force et de constance. Bien entendu, elle ne s’oppose pas à la nécessité d’une mobilisation puissante et prolongée. L’une est même l’absolue condition de l’autre. Syndicats et partis politiques pourraient ainsi jouer chacun leur partition. Les premiers maintenant la pression de la rue, et les autres proposant une sortie démocratique de la crise. En dépit de l’immense succès de la journée de mardi, nous n’en sommes pas encore là.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.