Quand Nicolas Sarkozy pompe le FN
Nous avons relu le programme de Jean-Marie Le Pen pour la présidentielle de 2007. Nationalité, lutte contre la délinquance, retraites, AME : toute la politique gouvernementale y est !
dans l’hebdo N° 1119 Acheter ce numéro
Nicolas Sarkozy et les conseillers qui écrivent ses discours ont de bonnes idées. Ils innovent quant aux mesures à prendre « en matière de sécurité » et « pour lutter contre l’immigration clandestine » . Les accuser de mettre en place la politique voulue par le Front national (FN) serait un odieux mensonge. Grand démocrate, Brice Hortefeux, au ministère de l’Intérieur, récemment condamné pour propos racistes par la justice, a bien entendu commis une regrettable erreur dans la formulation de la fameuse circulaire ordonnant aux préfets de démanteler les « campements illicites, en particulier ceux des Roms ». Il n’avait aucune intention de stigmatiser une communauté. Sa plume – après sa langue – a simplement fourché. Non, notre président (et son équipe gouvernementale) n’a vraiment rien à voir avec l’extrême droite xénophobe – dont on doit se réjouir qu’il ait si bien réussi à « siphonner » les voix en 2007…
2007, justement, l’année de l’élection présidentielle, après une campagne marquée par les mots « racaille » et « Kärcher ». Nicolas Sarkozy s’était alors engagé à ne pas toucher au système des retraites. Seul Jean-Marie Le Pen écrivait alors noir sur blanc dans son « programme de gouvernement entièrement chiffré » la phrase suivante : « Pour sauver notre système de retraite par répartition […], il faut en finir avec les inégalités et les injustices, en proposant aux Français : le retour à 65 ans de l’âge légal de la retraite […] après 40 annuités de cotisation et la liberté donnée aux Français de travailler au-delà s’ils le désirent. » Reconnaissons que Nicolas Sarkozy, lui, ne propose jusqu’ici que le passage de l’âge légal à 62 ans dans la réforme actuellement en débat au Parlement. Preuve que, par rapport au président de la République, Le Pen est bien un dangereux extrémiste, avec un programme extrémiste. Un programme pourtant intéressant à relire aujourd’hui.
Le Front national y demandait en effet une « réforme du droit de la nationalité » avec la mesure suivante : « L’acquisition dépendrait alors de critères de bonne conduite et du degré d’intégration ; la déchéance de la nationalité pourra être prononcée par la juridiction concernée dans le cas de naturalisation acquise depuis moins de dix ans et dans le cas de crime ou délit grave. » Une « idée » qui a visiblement séduit le Sarkozy du discours de Grenoble du 30 juillet dernier, lorsqu’il déclarait : « La nationalité française doit pouvoir être retirée à toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un fonctionnaire de police ou de gendarmerie. » Et d’ajouter : « La nationalité française se mérite, et il faut pouvoir s’en montrer digne. » Une petite phrase qui rappelle de nombreuses déclarations de dirigeants frontistes depuis de nombreuses années. Ainsi, Bruno Gollnish, le 7 janvier 1998 : « La nationalité française devrait s’hériter ou se mériter. » En outre, le FN écrivait en 2007 qu’il fallait « supprimer le RMI et l’aide médicale d’État (AME) pour les étrangers ». Tous les étrangers. Nicolas Sarkozy se contente, lui, d’annoncer qu’il compte « évaluer » désormais « les droits et les prestations auxquels ont aujourd’hui accès les étrangers en situation irrégulière » . Le Pen est donc bien un extrémiste ! Mais, quand celui-ci exigeait la « mise en place de moyens importants pour la lutte contre l’immigration clandestine » , Sarkozy demande aux préfets de « faire preuve de fermeté absolue dans la lutte contre l’immigration clandestine, [avec pour] règle générale : les clandestins doivent être reconduits dans leur pays », au motif que « nous subissons les conséq uences de cinquante ans d’immigration insuffisamment régulée » (sic).
Le FN, dans son programme de 2007, exigeait aussi la modification de l’ordonnance de 1945 dans ces termes : il faut « mettre un terme à l’inadéquation de la loi avec les réalités sociologiques et mettre fin à l’impunité des mineurs délinquants, notamment récidivistes » . Une « proposition » qui fait écho au passage sur les mineurs du discours de Grenoble : « Convenons que l’ordonnance de 1945 n’est plus adaptée aux mineurs d’aujourd’hui ; ou est-ce qu’on veut considérer que ce texte, qui a plus de 60 ans, ne peut pas être touché, ne peut pas évoluer ? » Et ayant diagnostiqué que, « au fond, la principale cause de la violence, c’est la permissivité et c’est la démission » , il demande la « suspension » du versement des allocations familiales pour les familles d’enfants délinquants ou qui ne fréquentent plus l’école… quand le FN en demande depuis longtemps la « suppression » pour ces derniers.
Enfin, en 2007, Jean-Marie Le Pen était particulièrement prolixe sur la question des quartiers dits « sensibles », appelant à une « répression sévère contre les attaques organisées visant les forces de l’ordre, les secours ou les pompiers ». Nicolas Sarkozy se contente pour sa part d’étendre les peines-planchers « à toutes les formes de violences aggravées, c’est-à-dire notamment les violences sur des personnes dépositaires de l’autorité publique » . Quant aux « réseaux du banditisme, des “grands frères” et des caïds », le FN voulait les voir « démanteler » et proposait de « développer les contrôles fiscaux et douaniers dans les banlieues-ghettos, générateurs d’une véritable économie parallèle » .
Un thème cher au président de la République, particulièrement en verve sur ce mélange des genres à Grenoble. Citons notamment : « Depuis trois jours, un inspecteur du fisc est installé dans les services de police, et nous allons nous intéresser au patrimoine des délinquants à Grenoble, comme dans l’Isère, de façon extrêmement approfondie » ; « Ne laissons pas les caïds [sic] s’installer dans les quartiers de Grenoble, devenus à la fois leurs proies et leurs repaires. » Et de conclure : « C’est donc une guerre que nous avons décidé d’engager contre les trafiquants et les délinquants : comme nous l’avons fait en Seine-Saint-Denis, nous avons décidé de nous occuper particulièrement de certains territoires qui ont besoin d’une action ciblée »…
Cette « guerre » trouve donc bien directement, presque mot pour mot, son inspiration dans les « idées » du FN, fleurant bon la xénophobie et la désignation à la vindicte populaire des étrangers, des « Français d’origine étrangère » et des « gens du voyage ». Ce qui amène le gouvernement à aller jusqu’à rédiger des textes clairement « racistes » , comme le dénoncent fermement la Ligue des droits de l’homme (LDH) et le Groupe d’information et de soutien aux travailleurs immigrés (Gisti). Ces deux associations ont ainsi déposé plainte la semaine dernière contre le chef de cabinet du ministre de l’Intérieur, Michel Bart, signataire matériel de la circulaire du 5 août dernier visant explicitement les Roms. Mais elles ont aussi demandé officiellement au Procureur général près la Cour de cassation d’entamer la procédure de jugement de Brice Hortefeux par la Cour de justice de la République pour « attentat aux libertés et discrimination raciale » . Ajoutons que les propos sur les « Français d’origine étrangère » sont en totale opposition non seulement avec les valeurs fondamentales de l’Union européenne, mais aussi avec la Constitution française, qui interdit de distinguer entre les Français des catégories particulières pour leur appliquer des mesures législatives ou réglementaires différentes. L’initiative engagée par les deux associations vient s’ajouter à la procédure d’infraction contre la France lancée par la Commission européenne, qui elle-même fait suite au vote du Parlement européen condamnant la politique de Nicolas Sarkozy. Visiblement, pourchasser les Roms et discriminer les « Français d’origine étrangère » déconsidèrent la France sur la scène internationale et européenne. Mais appliquer le programme du FN en vue de séduire son électorat est à ce prix.