Un brin d’herbe et de provocation
Né à San Francisco, le Park(ing) Day s’est déroulé pour la première fois en France les 17 et 18 septembre. Deux journées durant lesquelles les places de stationnement ont pris un petit coup de vert.
dans l’hebdo N° 1119 Acheter ce numéro
Vendredi 17 septembre, 11 heures : le soleil commence à briser la fraîcheur automnale. Une trentaine de vélos déguisés en brins d’herbe géants quittent la Cité internationale universitaire, au sud de Paris. Lecteur MP3 fixé au guidon, deux enceintes accrochées à l’arrière, le vélo de tête donne un rythme très groove à la procession. Elle est conduite par Blain Merker, membre du Rebar Group, des designers et activistes californiens, créateurs du Park(ing) Day il y a cinq ans. Groove, grass, and sun [^2] ! Le commando se veut joyeux et pacifiste, mais il lui manque encore un peu de pratique pour prendre sa place sur l’asphalte.
Le cortège teste in vivo le règne agressif et sans partage du moteur à explosion en milieu urbain. Voitures pressées et bus en retard sur l’horaire voient notre escouade comme un énième obstacle sur leur route et le font savoir. « Notre parade verte a emporté un morceau de la pelouse du parc de la Cité universitaire. Il servira à végétaliser symboliquement le IIe arrondissement de Paris, le moins vert de la capitale » , explique Stéphane Cagnot, de l’association Dédale, qui coordonne l’opération. En passant place de la Bastille, les Rebar sortent le gazon des cageots et les doigts de pied des chaussures pour une pause sous la colonne de Juillet, devant caméras et photographes émoustillés.
L’idée du Park(ing) Day est d’inviter les créatifs à « agir de manière festive et ludique pour provoquer un questionnement chez les gens sur la place de la nature en ville » , résume John Bela, l’un des Rebar. Tout a commencé en 2005 à San Francisco, où sont installés les membres du Rebar Group. Ils transforment le temps d’une journée une place de stationnement en miniparc propice aux rencontres et à la discussion. Depuis, le concept a fait des petits aux États-Unis, en Europe et dans les grandes villes latino-américaines. À San Francisco, où tout se fait en voiture, comme dans toutes les mégalopoles américaines, l’installation de rouleaux de gazon et de transats sur une aire de stationnement a fait de l’effet.
À Paris, où la voiture doit partager l’espace avec les parcs, les pistes cyclables et les piétons auxquels sont rendues les voies sur berges certains dimanches, la question a, de fait, déjà été posée. D’ailleurs, la trentaine d’événements urbanistico-écologiques qui ont fleuri sporadiquement à Paris ont dépassé la thématique végétale.
À l’entrée du boulevard Henri-IV, dans le IVe arrondissement, une baudruche blanche de la taille d’un monospace est « garée » sous les fenêtres de la Garde républicaine. C’est l’œuvre du collectif d’architectes YA+K. À l’intérieur, jeunes et moins jeunes s’amusent dans une nuée de ballons verts. « Avec leurs combinaisons, j’ai cru qu’ils protégeaient un véhicule. En fait ils reprennent de la place aux voitures pour y faire un espace de jeu ! Ensuite, ils nous ont donné des petites graines pour les planter entre les pavés » , s’amuse une sexagénaire ébouriffée par son passage en soufflerie. Derrière le palais Brongniart, place de la Bourse (IIe arrondissement), un rocking-chair monté sur pneus Michelin et des fauteuils avec rétroviseurs revisités en sous-verre invitent le passant à la détente. « Nous avons créé des objets utiles à l’homme à partir de morceaux de voiture, explique Laura Ruccolo, architecte paysagiste et membre des Multipleix. D’accord, la voiture existe, mais il faut être conscient de l’espace qu’elle prend. » Non loin de là, des architectes ont reconstitué une Formule 1 avec du pop-corn, censée poser le paradoxe des agrocarburants dans la lutte contre le réchauffement climatique. Sans oublier cet intervenant de l’association la Décontraction à la française, qui distribue ses massages gratuits entre deux pare-chocs. Sur la trentaine de parkings squattés dans la capitale, une dizaine le sont à proximité de la place de la Bourse. Le IIe arrondissement est le moins végétal de la ville, mais aussi l’un des moins peuplés Les installations ont suscité une curiosité positive et sympathique de la part des passants, mais très peu étaient des résidents. Pas sûr que l’opération ait dépassé l’impact d’un marché de Noël auprès des « costards cravates » du coin.
Pour rencontrer des habitants soucieux de leur espace urbain, il fallait donc reprendre sa bicyclette et monter tout au nord de Paris. L’après-midi touche à sa fin. Ça sent le week-end rue de la Chapelle (XVIIIe arrondissement), engorgée de véhicules. L’axe conduit à la porte de la Chapelle, principal point de sortie du nord de Paris. Entre le 31 et 33 de la rue, une vingtaine de membres de l’association ECObox s’activent. Une jardinière à roulettes créée pour l’occasion finit d’être logée, pile sur les pointillés d’une place de stationnement. Ce soir, sur la placette qui jouxte la voie, ce sera la fête. « Chez nous Park(ing) Day, c’est tous les jours », affirme dans un clin d’œil Jérôme, animateur d’ECObox. Il désigne le bout de l’impasse. Sur les anciens parkings des résidences voisines poussent fleurs et légumes des jardins partagés de l’association. L’endroit est la propriété de la SNCF, qui consent, pour le moment, à cette occupation verdoyante. La végétalisation de la ville est déjà une réalité, produite par les habitants. « Participer à Park(ing) Day, occuper la voie publique, c’est un prétexte à autre chose. Tout comme cultiver un jardin partagé est un prétexte à la rencontre, à boire des coups ensemble », poursuit Jérôme. Festif, ludique et actif, l’esprit Park(ing) Day a survolé Paris cette année. Il devra s’enraciner un peu plus entre les pavés lors des prochaines éditions.
[^2]: Groove, gazon et soleil !