Au Sénat : une bataille, pas de débat
En guise de débat sur la réforme, les sénateurs ont dû faire face à une procédure chamboulée par l’Elysée. Histoire d’une crise parlementaire annoncée.
dans l’hebdo N° 1122 Acheter ce numéro
Gérard Larcher, le président UMP du Sénat, l’avait promis au micro de RTL : « Nous irons au bout du débat » sur la réforme des retraites. Après l’examen raccourci de ladite réforme devant l’Assemblée nationale, et le mépris manifesté envers les grandes mobilisations de la rue et les syndicats, la Chambre Haute – cette « anomalie constitutionnelle » longtemps dénoncée par la gauche – devait être le seul lieu d’un vrai débat. Banderoles, manifestants, caméras, leaders politiques ont donc convergé dès le 5 octobre vers le palais du Luxembourg.
« Le débat sur les retraites ? Salle des conférences, porte à gauche, au fond de la cour, sous les tunnels, puis le grand perron, deuxième étage à droite, par le petit escalier » , nous renseigne poliment un appariteur au deuxième jour des discussions, le 6 octobre. Mais, en lieu et place d’un débat, on a assisté à une bataille rythmée par des chronomètres numériques accrochés aux ors de la République. « À chaque article, nous opposons des amendements pour formuler des contre-propositions sérieuses » , explique Jean-Jacques Mirassou, sénateur PS du Sud-Ouest.
Moins limités que les députés, les sénateurs de l’opposition se sont succédé pour utiliser leurs 5 minutes de temps de parole jusqu’à épuisement. Et pour tenir jusqu’au 12 octobre, journée de manifestations et de grève lancée par l’intersyndicale nationale, plus de 600 amendements ont été déposés par les sénateurs du groupe communiste et membres du Parti de gauche, près de 300 par les socialistes. « Cette différence témoigne d’une question de stratégie » , explique Annie David, sénatrice PCF de l’Isère.
Avec 24 sénateurs, son groupe doit en déposer plus pour ralentir une réforme menée par une procédure accélérée. Les socialistes, plus nombreux, peuvent multiplier les explications de vote sur un même amendement. Comme chaque soir jusqu’à minuit, leurs critiques et propositions sont restées sans réponse face à des sénateurs de droite occupés à lire le journal. Les critiques visent surtout le ministre du Travail, Éric Woerth, et son gouvernement. Économe en parole, celui-ci occupe la plupart de son temps en tapotant sur son téléphone.
Ce soir-là, rien n’a été décidé dans l’hémicycle. Le président du Sénat, les présidents des groupes UMP et centriste ainsi que le ministre du Travail sont convoqués à l’Élysée le lendemain matin, alors que les préavis de grève continuent de pleuvoir. À l’issue de la réunion, le soldat Woerth annonce deux nouveaux amendements gouvernementaux, pour permettre une retraite sans décote à 65 ans « pour les mères de 3 enfants et plus nées entre 1951 et 1955, sous réserve de s’être arrêtées de travailler pour élever un enfant » et « pour les parents d’enfants lourdement handicapés qui ont besoin d’une présence auprès d’eux » . Les centristes, sans qui l’UMP n’a pas de majorité, se contentent de « remercier le gouvernement » pour cette mesurette concernant à peine 130 000 femmes. L’amendement sera adopté dans l’après-midi du 11 octobre.
Autre moyen employé pour saper le moral des manifestants : faire voter le « cœur de la réforme » avant la journée de mobilisation du 12. Tout le contraire de ce qu’avait juré Gérard Larcher, qui voulait donner du temps au débat. Les sénateurs ne dorment plus et siègent en heures sup’, de nuit, le week-end. Et l’article 5, faisant passer l’âge de la retraite de 60 à 62 ans, est examiné en priorité, avant même l’article premier du projet de loi. Les amendements financiers proposés par la gauche pour « garantir le choix de la retraite par répartition au cœur du pacte social » sont tous renvoyés en fin de discussion.
La fin de l’âge de la retraite à 60 ans est donc votée le 8 octobre, sous les yeux de Pierre Mauroy, ancien Premier ministre et sénateur du Nord. « La retraite à 60 ans, c’était la satisfaction d’un immense espoir » , déclare avec émotion celui qui l’avait fait adopter en 1982. « La liquider ainsi, en catimini, n’est pas convenable. »