Boues rouges : les écologistes accusent
Selon des révélations d’associations, des négligences expliqueraient la rupture d’un bassin de stockage de déchets toxiques, la plus grave catastrophe écologique du pays, comme l’admet le gouvernement.
dans l’hebdo N° 1122 Acheter ce numéro
L’alerte au raz-de-marée toxique est loin d’être levée dans l’ouest de la Hongrie. Lundi 4 octobre, une paroi du gigantesque bassin de stockage de déchets de l’usine d’aluminium d’Ajka s’effondrait, précipitant près d’un million de mètres cubes de boues rouges dans la vallée de la rivière Marcal. Une semaine plus tard, 4 000 travailleurs s’activaient, avec 300 machines, pour gagner une course contre la montre : la construction d’une digue de contention longue de 1 500 mètres, en aval d’une autre fissure. Une nouvelle rupture de la paroi – « imminente » selon les experts – pourrait doubler l’ampleur de la catastrophe. Bilan actuel : 8 morts, 150 blessés (notamment par le pouvoir corrosif des boues), deux villages sinistrés (Kolontar et Devecser), 4 000 hectares nappés de boues rouges toxiques, et la destruction totale de toute vie sur les rivières Torna et Marcal, qui alimentent le Danube.
C’est le pire désastre écologique de l’histoire du pays, reconnaît le gouvernement, qui s’attache pourtant depuis le début à en minimiser l’impact.
Tout d’abord pour circonscrire l’étendue de la catastrophe. La rivière Marcal a été saturée de produits – plâtre, acides et même pesticides – destinés à neutraliser la soude caustique, dont les boues sont très fortement chargées, avant qu’elles ne se déversent dans le Danube, qui arrose huit pays en aval [^2]. « Certes, les autorités peuvent se satisfaire d’avoir dilué la soude , reconnaît Charlotte Nithart, de l’association Robin des bois, spécialisée dans la surveillance des pollutions industrielles. Mais les métaux lourds contenus dans les boues ne vont pas disparaître. » S’accumulant le long de la chaîne alimentaire, ils peuvent provoquer des perturbations des fonctions neurologiques, reproductrices, etc.
Cependant, les boues n’en recèleraient qu’en faibles taux, a voulu rassurer le gouvernement. « Ce que nos analyses ont infirmé ! , s’élève Balázs Tömöri, chargé de campagnes à Greenpeace en Hongrie. Le scandale a forcé les autorités à revoir leurs calculs. » Deux laboratoires ont détecté du mercure, du chrome et surtout des concentrations anormalement élevées d’arsenic, 25 fois supérieures aux limites fixées pour l’eau potable. Au total, évalue Greenpeace, 50 tonnes d’arsenic ont été libérées dans la nature, toxiques pour les organismes vivants et menaçant de contaminer les nappes phréatiques. « L’air aussi sera pollué, menace pour la santé humaine quand le vent dispersera les poussières de la boue une fois sèche » , indique Balázs Tömöri.
Autre allégation contestée : les déchets ne seraient que « légèrement radioactifs » , comme la bauxite, dont on extrait l’aluminium. « Faux , rétorque Charlotte Nithart. Nous avons eu l’occasion de vérifier, sur des sites semblables à celui d’Ajka, que le procédé de traitement concentre la radioactivité. » La recherche en responsabilité devrait progresser rapidement. L’entreprise Magyar aluminium (MAL), propriétaire du bassin de stockage, se prétend en règle – « Ce qui est encore plus inquiétant ! » , s’alarme Balázs Tömöri. Mais cette ligne de défense ne devrait guère résister à l’examen des faits. Le bassin contenait, semble-t-il, un volume de boues quatre fois plus important que la contenance pour laquelle il avait été prévu. « L’exploitation date de 1943, il a pu être tentant de rehausser régulièrement les digues » , avance Charlotte Nithart.
Mais il est probable que les autorités seront aussi éclaboussées. Car le site a été régulièrement inspecté, et pas plus tard qu’il y a trois semaines, signale Balázs Tömöri. « Il y a quelque temps, la population avait signalé de petites fuites… » Une photo aérienne datant de juin dernier, et diffusée par le WWF, jette un pavé dans la mare : on y repère à l’œil nu une mince coulée rouge, qui n’aurait pas dû manquer d’alerter les services de contrôle.
[^2]: Hongrie, Slovaquie, Croatie, Serbie, Bulgarie, Roumanie, Ukraine, Moldavie.