Changer d’ère / Grenelle, trois ans de reculades
dans l’hebdo N° 1123 Acheter ce numéro
25 octobre 2010 : trois ans après une grand-messe élyséenne qui clôturait quatre mois de discussions et deux jours d’intenses négociations, accouchant de 268 engagements et deux lois, quel bilan tirer de ce qu’il faut avoir l’honnêteté d’appeler « l’échec du Grenelle » ? Avant d’être une mise en scène à la gloire du géant vert de l’Élysée, ce barnum fut un état d’esprit : pour certains acteurs associatifs, une envie irrépressible d’être vus et de voir leur expertise enfin reconnue, une soif de trouver des solutions partagées ; pour le président de la République, une façon habile de verdir une politique qui n’a jamais cessé d’être écoprédatrice. La révolution verte déclamée sur tous les tons par l’actuel ministre de l’Écologie, Jean-Louis Borloo, s’est muée en une énième rupturette sarkozyste, mélange d’ouvertures cosmétiques, de gesticulations médiatiques et de reculs significatifs. Au final, le Grenelle se réduit à une accumulation de discours dont l’emphase cache mal la faiblesse de l’action.
La liste des grandes renonciations et petites déconvenues est longue : un second réacteur nucléaire EPR à Penly, décidé avant la tenue d’un débat public, une ligne à très haute tension pour celui de Flamanville, mille kilomètres d’autoroutes en plus, un méga-incinérateur d’ordures ménagères à Fos-sur-Mer, un aéroport international à Notre-Dame des Landes, l’inscription de nouveaux OGM au catalogue officiel des semences, le renouvellement de l’autorisation de certains insecticides tueurs d’abeilles, l’arrivée d’un quatrième opérateur de téléphonie mobile, le développement en catimini des nanotechnologies, la légalisation de dizaines de milliers de panneaux publicitaires autrefois illégaux, l’autorisation accordée aux camions de 44 tonnes de circuler sur les routes hexagonales…
Le Grenelle aura également acté la mort de la fiscalité écologique : « taxe poids lourds » reportée sine die ; abandon de la « contribution climat énergie » (taxe carbone) ; baisse progressive de l’aide à l’achat de véhicule moins polluants ; sanctuarisation inacceptable de niches fiscales bénéficiant à de fausses « solutions écologiques » comme les agrocarburants ou la voiture électrique…
Bien sûr, à l’heure où il se verrait bien succéder à François Fillion à Matignon, le ministre de l’Écologie ne se privera pas de valoriser « son » Grenelle, quitte à sombrer dans une autosatisfaction hors de propos à l’échelle européenne. Exemple, au chapitre des énergies renouvelables : « Augmentation de 600 % en deux ans dans le domaine du solaire photovoltaïque, de 90 % en deux ans dans le domaine de l’éolien » , rappelle Jean-Louis Borloo. Des progressions à faire pâlir d’envie le plus réfractaire des anti-grenelliens ? La réalité, c’est que les capacités de production d’électricité solaire et éolienne nationales culminent respectivement à 9 % et 17 % du parc installé en Allemagne !
Étonnamment, le ministre de l’Écologie a fini par croire à sa propre communication, jugeant à l’aune de ces résultats qu’il n’était plus nécessaire de maintenir les déductions fiscales bénéficiant aux énergies renouvelables ! Résultat : au rythme actuel, les objectifs de développement de l’éolien fixés dans sa loi Grenelle ne seront atteints qu’en 2061 ; soit avec un retard de… quarante et une années. Chaque décision « contre-nature » est là pour nous rappeler qu’une négociation n’est rien sans une mobilisation durable. En désirant plus que tout voir l’expertise associative reconnue par les plus hautes instances de notre pays, certains acteurs se sont mépris sur leur poids véritable et sur leur aptitude à convaincre une majorité parlementaire totalement rétive à la moindre avancée écologique.
De ce constat doit naître un sursaut. Le Grenelle nous a fait perdre un temps précieux. Parallèlement, il a permis de reconnaître la richesse des propositions émanant des rangs associatifs. Charge aux ONG d’avoir le courage et l’honnêteté de réaliser un bilan sans concession de cette parade de l’écologie hors-sol. Afin de ne plus perdre en radicalité (que certains écologistes appellent à juste titre « lucidité ») ce que nous pourrions grappiller en reconnaissance institutionnelle !