Comment les lobbies polluent le débat
Le débat public sur un projet de parc écolien en baie de Somme est un bel exercice de démocratie citoyenne. Hélas, il a été dévoyé par des groupes de pression passéistes.
dans l’hebdo N° 1122 Acheter ce numéro
Mardi prochain, au Tréport, la commission spéciale du débat public chargée de la discussion sur un projet de parc éolien en mer, au large de la baie de Somme, fera publiquement le point sur un débat qui aura duré du 28 avril au 10 septembre. Cette commission ne rend pas de verdict mais reflète le mieux possible toutes les opinions exprimées. « Nous sommes indépendants du maître d’ouvrage et de tous les acteurs , explique son président, Philippe Marzolf, et nous n’avons pas d’avis à donner. Nous sommes là pour organiser un débat le plus équitable possible, même si ce n’est pas facile parce que les débats sont passionnés. » Cette procédure précède l’enquête publique décisionnelle ; elle a été créée par la loi Barnier du 2 février 1995, inventant la commission nationale du débat public. Laquelle, pour chaque projet d’envergure, crée une instance qui prépare et organise les débats, et suit l’aménagement proposé s’il est retenu. La loi de 1995 correspond à l’esprit et à la lettre de la Convention d’Aaarhus de 1998 sur « la participation du public aux processus de décision » , actuellement signée par une quarantaine de pays et l’Union européenne.
Avec le temps, le fonctionnement des commissions s’est amélioré, et celle animée par Philippe Marzolf a beaucoup innové. Outre les douze réunions entre les différents protagonistes, un site a été ouvert, sur lequel on peut trouver le verbatim des réunions et les dossiers des divers acteurs, y compris celui du maître d’œuvre. Chacun peut y laisser ses commentaires et ses opinions. Ce dispositif a été complété par la retransmission en direct, sur Internet, de la plupart des réunions.
Ce débat public sur les éoliennes en baie de Somme a mis en évidence les limites et les défauts de l’exercice, alors qu’il pourrait et devrait être un passionnant outil de participation citoyenne. Les limites ne relèvent pas de la loi ou de son application, mais de la propension à l’individualisme, de la tentation de rejeter tous les aménagements « ailleurs ». Surtout, ces débats publics sont de plus en plus souvent livrés à des groupes de pression dont les méthodes tendent à faire disparaître la voix de chaque citoyen. Ainsi, alors que les sondages locaux et régionaux font apparaître, quelles que soient les marges d’erreur, que la population littorale de la Somme et de la Seine-Maritime est très largement favorable à l’installation du champ d’éoliennes, des associations minoritaires, issues de la Fédération environnement durable, bombardent la population et le site Internet de la commission de fausses informations.
Sans parler des réunions publiques où les représentants de cette Fédération tentent de monopoliser la parole. Une prise d’otages qui ne peut qu’influer sur le compte rendu de la commission, puisqu’elle évoquera surtout cette opposition résolue. Une opposition qui « voyage » à travers la France, à chaque fois qu’un projet éolien, même restreint, est sur le point d’être accepté par une population. Et ce n’est certainement pas par hasard que le groupuscule « SOS à l’horizon », qui mène la bataille depuis Le Tréport, est présidé par un ancien d’EDF. Une association qui, comme toutes celles luttant contre l’éolien au nom de la destruction du paysage ou de la baisse des prix des résidences secondaires, ne s’est pas manifestée contre les centrales nucléaires.
Comme lors du débat public sur les nanotechnologies, ce type de groupe de pression pratiquant un certain terrorisme verbal et informatique empêche les citoyens de s’informer tranquillement et de se manifester. Leur monopolisation de l’espace de parole peut se révéler très efficace ; ainsi, la majorité du conseil municipal du Tréport (qui accueille le siège social de SOS à l’horizon !) et la minorité socialiste se dressent contre le projet, au nom des contrevérités assénées par ce réseau appuyé en sous-main par des amis politiques de Valéry Giscard d’Estaing. Dommage pour la démocratie.