La Grèce, tête de pont de la Chine
Signés le 2 octobre, les accords de coopération entre la Grèce et la Chine vont soulager un État grec très endetté, et ouvrir à la Chine les portes de l’Europe. L’analyse de l’économiste Dominique Plihon.
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Politis : Les accords passés entre la Chine et la Grèce prévoient la prise en charge des emprunts grecs par la Chine. S’agit-il d’un échec pour l’Union européenne ?
Dominique Plihon : Lorsque la Grèce a été en difficulté sur sa dette publique, les Européens ont fait preuve d’une solidarité minimum et se sont surtout intéressés à la défense de leurs intérêts. Je pense notamment au sauvetage des banques françaises et allemandes qui ont fortement investi en Grèce. Les pays européens n’ont pas cherché à aider la Grèce pour qu’elle ait une véritable politique de développement à moyen et long termes. C’est ce manque de solidarité qui a poussé la Grèce dans les bras de la Chine. Celle-ci a obtenu une série d’accords en s’engageant à racheter une partie de la dette publique grecque. Des investissements directs sont prévus dans l’économie, principalement dans les infrastructures portuaires : la Chine a notamment racheté le port du Pirée, principal port grec. Les accords prévoient également le développement des échanges touristiques et culturels entre les pays. La Chine a donc proposé une politique beaucoup plus complète et solidaire à la Grèce.
L’euro fort a-t-il aussi attiré la Chine en Europe ?
Les Chinois sont très malins. Ils ont, par exemple, acheté la dette espagnole et se sont tournés vers les pays qui avaient des difficultés à financer leur dette publique. En achetant des titres en euro, les Chinois soutiennent l’euro en le maintenant à un taux relativement fort par rapport au yuan, ce qui est évidemment très intelligent parce que cela permet de maintenir un yuan faible. Le paradoxe est le suivant : en aidant certains pays européens, ils contribuent aussi à les asphyxier en rendant leurs exportations moins compétitives et les exportations chinoises bien plus attractives.
Que pensez-vous de l’attitude de la Banque centrale européenne ?
On peut parler d’absence de gouvernement économique en Europe. Je m’explique : l’Europe n’a pas d’objectif de change. Elle laisse flotter librement sa monnaie. Contrairement à la plupart des autres grands pays de la planète (la Chine, le Japon, le Brésil, les États-Unis), qui interviennent pour maintenir leur monnaie à un niveau assez bas, les Européens n’ont pas de politique dans ce domaine. En principe, la politique de change est une compétence partagée entre les gouvernements et la BCE. Mais, depuis que l’euro existe, les gouvernements européens ont renoncé à exercer cette compétence. Ils ne donnent aucune directive à la Banque centrale, qui fait ce qu’elle veut. Comme cette dernière applique une doctrine néolibérale qui consiste à laisser faire le marché, la zone euro subit les politiques de change des autres pays, et c’est ainsi que l’euro monte. Cela pénalise toute une partie des exportations et de l’activité économique de la zone euro.
La perte de souveraineté de la Grèce ne pose-t-elle pas problème ?
C’est un point très important. Quand on regarde les accords, on s’aperçoit que la Chine prend le contrôle du transport maritime, qui est le point fort de l’économie grecque. En agissant ainsi, la Chine s’assure une ouverture stratégique sur l’Europe. La Grèce va devenir le cheval de Troie de l’Europe. Ce qui est choquant et étonnant, c’est que les autorités grecques l’acceptent, qu’il n’y ait pas de réaction devant cette perte d’une partie de leur souveraineté. De plus, les Européens ne bougent pas. La doctrine néolibérale est prise à son piège. On veut laisser jouer le marché, mais en fait, c’est faux ! Ce n’est pas le marché qui intervient, car on n’est pas dans le cas où l’économie grecque est achetée par une entreprise, mais c’est l’État chinois. Or, le régime politique et économique de la Chine n’est pas comparable au nôtre. C’est un capitalisme d’État peu démocratique ! Il y a là quelque chose d’anormal, qui pose un problème de contrôle et de souveraineté pour la Grèce, et même pour l’Europe.