Les écologistes parient sur la fusion
La création d’un mouvement rassemblant les Verts et Europe Écologie a été très largement validée par les militants lors de leurs assises territoriales. Malgré plusieurs points importants restés en suspens.
dans l’hebdo N° 1123 Acheter ce numéro
Cécile Duflot arrive un peu en retard : grève dans les transports. Qui a empêché Dany Cohn-Bendit de parvenir jusqu’à Paris, ce lundi 18 octobre. « Ce n’est pas une excuse diplomatique » , assure Jean-Paul Besset, qui prendra la parole à sa place. Député européen Europe Écologie, il s’inquiète lui-même de savoir s’il pourra rallier à temps le Parlement de Strasbourg dans l’après-midi.
Alors que la mobilisation contre la réforme des retraites promettait de se durcir, les deux responsables écologistes semblaient indiquer ainsi qu’ils mesuraient le décalage entre l’actualité des luttes sociales et les bonnes nouvelles qu’ils venaient officialiser : à 84 %, les militants écologistes ont dit « oui » à la création d’un mouvement unissant les Verts et Europe Écologie. Il sera constitué d’un parti politique, au sens classique du terme, et d’un réseau coopératif composé d’adhérents à égalité de droit, dont le rôle central sera de participer à la réflexion sur les idées – forums, mobilisations, programmes politiques [^2]…
« Pari réussi, par tous les adhérents et non par quelques responsables nationaux » , insiste Cécile Duflot, en vue de répondre par avance à des critiques formulées par certains Verts sur la démocratie du processus.
La fusion étant en bonne voie, les effusions sont officiellement annoncées : ce sera le 13 novembre à Lyon, lors d’une assemblée constituante où les militants choisiront le nom de leur nouvelle demeure.
Pourtant, si la satisfaction des cadres écologistes n’est pas feinte, cette « approbation massive » joue les trompe-l’œil. D’abord, en raison de la faiblesse du taux de participation à ce scrutin, organisé le 9 octobre lors d’assises territoriales des écologistes, ainsi que par correspondance : 53 % de votants sur les 13 000 adhérents au processus
– Verts et non-Verts. Jean-Paul Besset préfère relativiser, même s’il s’agit d’un « mea culpa » : délai de participation court, des dizaines de pages à ingurgiter, la grève à La Poste qui a retardé des courriers.
Ensuite, les militants avaient à se prononcer sur des amendements « importants, susceptibles même de changer la nature du projet » , estime Patrick Farbiaz, secrétaire du groupe Verts-Europe Écologie de Paris XXe. Il s’agissait du choix par tirage au sort de 20 % des membres de l’exécutif [^3], des modalités d’association d’autres partis au sein du réseau coopératif, ou encore des conditions de désignation des candidats écologistes pour les élections – les coopérateurs auront-ils voix au chapitre ? Pour tout ou partie des scrutins ? Résultat du vote des militants : aucun des amendements n’a atteint la majorité absolue requise pour son adoption. C’est donc l’incertitude sur leur devenir. « Mais cela n’a pas beaucoup d’importance pour le moment » , juge pour sa part Jean-Marc Brûlé, secrétaire national adjoint des Verts aux élections, estimant que de nombreux militants, déjà saturés par le formalisme important de la consultation, ne se sont pas sentis motivés par les débats soulevés par ces amendements.
Le dénouement des questions qu’ils posent est donc reporté à l’adoption du règlement intérieur, un chantier post-13 novembre qui prend de l’ampleur puisqu’il devra aussi décider d’autres modalités qui agitent les passions depuis longtemps : la compatibilité entre mandats d’élus (députés, conseillers régionaux, etc.) et fonctions au sein de l’exécutif du mouvement, les règles de représentation dans les instances, etc. « C’est la prochaine bataille » , pronostique Yves Contassot, conseiller Vert de Paris et l’une des voix écologistes critiques du processus. Il regrette notamment la précipitation de ces dernières semaines, qui aurait écourté les consultations internes, avec le risque de voir la mécanique « contrôlée par des apparatchiks. J’attends de voir à l’œuvre la “vraie démocratie” qui nous est promise » . La vice-présidente de la Région Île-de-france, Francine Bavay, qui lui est proche, déplore ainsi que la commission en charge du processus ait renoncé, « faute de temps » , à organiser une « conférence citoyenne de consensus » qui aurait permis aux militants de participer plus largement à la définition du profil du nouveau mouvement.
Enfin, dernier bémol aux 84 % d’approbations en faveur de la création du nouveau mouvement écologiste : il faut encore que les adhérents Verts entérinent formellement la modification des statuts qui permettra à leur parti de se fondre dans cet ensemble. Un référendum interne vient donc d’être lancé à cet effet. Il sera clos le 11 novembre. Cécile Duflot, qui connaît ses troupes, se garde d’en faire une formalité, car il faudra que le « oui » l’emporte à 66 % – règle interne aux Verts. Cependant, personne n’ose imaginer une rebuffade, qui mettrait à bas le nouvel édifice en construction deux jours avant son baptême. Selon Jean-Marc Brûlé, « les mécontents se sont déjà manifestés, je ne vois pas de mauvaise surprise inverser la tendance actuelle. »
Il ne s’agit probablement pas d’un excès de confiance : même les moins satisfaits ne souhaitent pas voir le processus bloqué, misant sur le passage à la pratique pour influer sur ses orientations. « Toute cette mécanique peut paraître lourde, mais nous voulons démontrer à tous les militants qu’elle est au service d’une ambition à la hauteur : non pas pour nous installer comme troisième parti de France ou bien comme force politique d’accompagnement, mais bien pour devenir bientôt majoritaires. On le voit avec la poussée de l’écologie au Brésil, en Allemagne, en Australie, etc. : nous sommes bien entrés dans une nouvelle ère politique. »
Un espoir qui reste intact chez les Verts et Europe Écologie, portés par leur succès aux dernières élections européennes (2008) et régionales (2010). « Les militants redoutent surtout de voir cette dynamique s’étioler , analyse Patrick Farbiaz. On peut dire qu’ils ont signé aujourd’hui une sorte de chèque en blanc, signifiant leur confiance et surtout leur désir de passer à l’action politique. »
La lassitude est en effet unanime, après les quatre mois de discussions entamées en mai dernier. Qu’on en finisse donc rapidement avec la cuisine interne… si possible ! Car le nouveau mouvement, outre de prévisibles anicroches autour du futur règlement interne, sera dans la foulée absorbé par la préparation de son premier congrès, prévu au printemps prochain. « Nous tenterons de mener de front l’indispensable structuration de notre mouvement avec les batailles politiques et les négociations avec nos partenaires politiques », promet Jean-Paul Besset, qui prédit avec optimisme que « le 13 novembre prochain le mouvement écologiste sera en ordre de marche, et même le premier sur la ligne de départ pour la présidentielle » . Certes, les écologistes disposent déjà à ce jour de trois candidats à l’investiture : la parlementaire européenne Eva Joly, le député Yves Cochet et Henri Stoll, un militant alsacien inconnu du public. Un avantage décisif pour les échéances de 2012 ?
[^2]: Ils ont aussi adopté à 90 % un manifeste politique. Voir Politis n° 1121
[^3]: Le principe est adopté, pas la quote-part.