Loi Besson, loi de répression
Cinquième texte sur le sujet en sept ans, le projet de loi « Immigration, intégration et nationalité » a été adopté à l’Assemblée le 12 octobre. Il va plus loin que les directives européennes dont il s’inspire.
dans l’hebdo N° 1123 Acheter ce numéro
Adopté par 294 voix contre 239, le projet de loi « Immigration, intégration nationalité » défendu par Éric Besson n’a pas fait l’unanimité, même au sein de l’UMP. Il a manqué 47 voix de la majorité au ministre de l’Immigration. Des dizaines d’articles restaient à discuter sur les 107 au programme mais le temps de parole était épuisé. Le projet de loi a été voté le 12 octobre. Il doit maintenant être soumis au Sénat, revenir en deuxième lecture à l’Assemblée, passer devant le Conseil constitutionnel… En dépit de quelques changements à espérer à la marge, de l’avis de ses opposants, le mal est fait. On se souvient de la directive européenne « Retour », dite « directive de la honte », finalement adoptée par le Parlement européen le 18 juin 2008. La loi Besson s’en inspire, en pire : « On n’est jamais allé aussi loin dans la répression et la criminalisation des candidats à l’immigration » , dénonce la Cimade, pour qui ce projet de loi va entraîner « une véritable fragmentation de notre société : privés d’accès aux soins, traqués, contrôlés, menacés d’être enfermés plus longtemps et expulsés plus facilement, les migrants seront même dissuadés par avance de tenter de régulariser leur situation… ». Passage en revue des mesures les plus emblématiques.
Interdiction de retour dans l’Union pendant 2 à 5 ans
Grande nouveauté : la création d’une « interdiction de retour » (IRTF), ou mesure de bannissement. Une nouvelle double peine, tirée de la directive « Retour ». La préfecture prononcera automatiquement, sauf pour des raisons humanitaires, une IRTF à l’encontre d’étrangers qui auront reçu une obligation de quitter le territoire (OQTF) sans délai de départ volontaire ou qui n’auront pas respecté le délai. Ils seront interdits de retour dans l’Union pendant une période de deux à cinq ans, suivant la décision de la préfecture. Cette mesure pourrait concerner quasiment tous les candidats à l’immigration : aussi bien les personnes résidant depuis plusieurs années en France, les conjoints de Français, les membres de la famille de Français, les travailleurs sans papiers, les déboutés du droit d’asile…
Restriction des régularisations pour soins
« Avant le vote de la loi, un étranger atteint d’une maladie grave pouvait bénéficier d’une régularisation pour raison médicale à condition de ne pas avoir “effectivement” accès aux soins dans son pays. Aujourd’hui, les étrangers souffrant d’une pathologie grave devront apporter la preuve que le traitement dont ils ont besoin n’est pas “disponible” dans leur pays d’origine » , explique Médecins du monde. Le texte est en effet passé de l’expression « traitement inexistant » à « traitement indisponible » . Mais, même si le traitement est « disponible » , comment s’assurer que les personnes expulsées y auront accès ? « Cette mesure revient à renvoyer un patient diabétique sans s’assurer qu’il a accès à de l’insuline. Et que dire des migrants atteints du VIH ? , s’insurge Olivier Bernard, président de Médecins du monde. Toute l’histoire de la Sécurité sociale en France repose sur des politiques inclusives. C’est ainsi qu’on a obtenu des résultats contre la variole et la tuberculose. Cette loi, assortie d’un projet de réduction de l’aide médicale d’État (AME) dans la prochaine loi de finances, est dangereuse sur le plan sanitaire, puisqu’elle favorise le risque pandémique. » Elle est aussi contradictoire avec la prochaine loi de santé publique sur la réduction des inégalités de soins, et avec les récentes décisions de la ministre de la Santé relatives au dépistage du sida. Elle n’a pas non plus d’intérêt économique : fin 2008, 28 460 personnes ont obtenu un titre de séjour pour raisons médicales, soit 0,8 % du nombre total de titres de séjour délivrés en 2008.
Déchéance de la nationalité
Un « chiffon rouge » pour la Cimade, qui estime que cette mesure ne concerne qu’une poignée de personnes quand les autres vont en frapper des dizaines de milliers.
Reconduite en cas de vols répétés ou mendicité agressive et abus de courts séjours
Un étranger, européen ou non, et même pendant les trois premiers mois de son séjour, pourra être reconduit à la frontière en cas de « menaces à l’ordre public » , notamment pour des infractions de vols, de mendicité agressive, ou encore en cas d’occupation illégale d’un terrain public ou privé. De plus, un ressortissant européen pourra faire l’objet d’une mesure d’éloignement en cas « d’abus d’un court séjour » (moins de trois mois), lorsqu’il multiplie des allers-retours « dans le but de se maintenir sur le territoire » , ou s’il constitue « une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale » . Rajoutées après le discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy, ces mesures ciblent directement les Roms. Un amendement a été adopté pour que l’étranger en situation régulière au-delà des trois premiers mois ne puisse en faire l’objet.
Augmentation de la durée de rétention
La durée de rétention passe de 32 jours à 45, y compris pour les familles avec de jeunes enfants, alors que la majeure partie des reconduites s’effectuent dans un délai moyen de 10 jours. L’argument invoqué est la pression des pays du Sud – sont cités le Maroc, le Vietnam et le Pakistan – pour rallonger les délais afin d’obtenir des laissez-passer. Sauf que, d’après la Cimade, sur les 1 698 Marocains reconduits dans leur pays, 95 % l’ont été durant les 17 premiers jours de rétention ! Et il n’y aurait eu que 501 ressortissants pakistanais et 447 ressortissants vietnamiens placés en rétention en 2009 sur 29 013 étrangers retenus. Cette mesure revient à faire de la rétention une mesure punitive.
Neutralisation du pouvoir du juge
Le nouveau texte de loi prévoit de ne faire intervenir le juge des libertés – considéré comme faisant obstacle aux reconduites – qu’au bout de cinq jours passés en rétention (contre quatre pour un présumé terroriste !), et certaines dispositions viennent limiter son contrôle, ce qui réduit considérablement les possibilités pour le juge d’annuler une procédure irrégulière. En outre, de nombreux étrangers risquent d’être renvoyés de force sans avoir vu le moindre juge.
Création de zones d’attente spéciales
Depuis l’affaire des migrants kurdes débarqués en Corse en janvier 2010, les associations appellent cette mesure « zone d’attente sac à dos » ou « zone d’attente élastique » . Elle préconise en effet que la zone d’attente s’étende « du ou des lieux de découverte des intéressés jusqu’au point de passage frontalier le plus proche » . Et ce, « lorsqu’un groupe d’au moins dix étrangers vient d’arriver en dehors d’un point de passage frontalier en un même lieu ou sur un ensemble de lieux distants d’au plus dix kilomètres » . Mais quel sera le nombre d’intéressés justifiant la création d’une zone d’attente ? « Un nombre exceptionnellement élevé » dans la directive « Retour ». « Un groupe d’au moins dix étrangers pouvant tenir dans une barque » , aurait traduit le député UMP et rapporteur du texte, Thierry Mariani.
Assignation à résidence et bracelet électronique
Thierry Mariani l’a présenté comme une alternative à la rétention des familles : un amendement au texte de loi prévoit une assignation à résidence avec port de bracelet électronique pour les pères et mères d’enfants mineurs, à condition qu’ils puissent prouver qu’ils prennent part à leur éducation depuis leur naissance ou au moins deux ans. « Ceux-ci se voient donc imposer un régime parallèle et coûteux, d’ordinaire réservé au pénal, aux prévenus, délinquants ou criminels, notamment les délinquants sexuels, et sur simple décision de la préfecture les cinq premiers jours ou alors que, pour les personnes condamnées, une décision de ce type est prononcée par un magistrat » , s’indigne Sophie Dru, de la Cimade.
Pénalisation des mariages gris
Phénomène marginal (0,45 % des mariages mixtes en 2004 ont été annulés pour fraude), les « mariages gris » sont visés par la loi, qui prévoit un renforcement des sanctions pénales à l’encontre des étrangers dont il serait démontré qu’ils se sont mariés « sans intention matrimoniale » . Mais comment prouver « l’intention matrimoniale » ? Et comment, en cas de discorde, protéger le conjoint étranger du Français qui peut à tout moment avancer cet argument ? La peine encourue est de sept ans de prison. Soit la même peine que pour proxénétisme ou traite des êtres humains.
_Ingrid Merckx