Nuages noirs sur l’EPR
Alors que les chantiers des nouveaux réacteurs accumulent les difficultés, des documents confidentiels révèlent à nouveau de graves défauts de conception.
dans l’hebdo N° 1121 Acheter ce numéro
Est-ce le début de la fin pour l’EPR ? La perspective de l’échec commence à se faire jour chez les décideurs industriels, économiques et politiques. Ce réacteur nucléaire nouvelle génération, porté à bout de bras par le président Sarkozy, qui veut en faire un succès commercial à l’exportation, était censé être un parangon de sûreté. Et voilà que des documents confidentiels communiqués de manière anonyme au Réseau sortir du nucléaire jettent un sérieux doute sur la crédibilité de l’argumentaire principal de l’EPR : l’enveloppe d’un mécanisme de sécurité actionnant les barres qui contrôlent la réaction nucléaire (et évitent son emballement) est atteinte de deux fragilités – un nombre de soudures trop important, et l’utilisation d’un acier cassant à haute température –, qui pourraient le rendre inopérant.
Ce n’est pas la première fois que l’EPR est attaqué sur son prétendu point fort. Fin 2009, les trois autorités de sûreté française, britannique et finlandaise ont émis des doutes sur le système de contrôle et de commande, demandant des améliorations de conception. Et, en juillet dernier, ce sont les États-Unis qui critiquent la complexité de cet organe. Les deux réacteurs qu’EDF prévoit de faire construire en Georgie et dans le Maryland semblent ainsi sérieusement remis en question, notamment parce que les assureurs bloquent pour l’un des deux.
Mais c’est surtout l’argument économique qui plombe le projet. La baisse des cours du gaz, aux États-Unis, favorise le recours à des centrales thermiques classiques et met d’autant plus en relief le coût prohibitif de l’EPR : 3,3 milliards d’euros au catalogue, mais sûrement bien plus, comme le montrent les dérives budgétaires considérables constatées sur les chantiers EPR actuellement en cours. À Flamanville (Manche), EDF vient d’annoncer deux ans de retard dans la construction et 2 milliards d’euros de dépassement de facture. Le réacteur ne devrait pas entrer en service avant 2014. À Olkiluoto (Finlande), le chantier pionnier de l’EPR, le retard atteint près de quatre ans, et le surcoût 3 milliards d’euros !
Il n’empêche, par le seul fait d’une décision présidentielle prise en 2009, un autre EPR français est prévu sur le site nucléaire de Penly (Seine-Maritime). Un débat public sur son opportunité vient de s’achever. Mais plus que ses conclusions, qui n’influenceront guère le gouvernement, c’est la décision d’EDF qui est attendue : elle pourrait s’avérer cruciale pour la filière. C’est en octobre que l’énergéticien doit prendre la décision de financer le réacteur, après la remise d’un rapport d’audit qu’il a demandé sur la sûreté de l’EPR de Flamanville.
La semaine dernière, demi-coup de théâtre : GDF décide de se retirer du tour de table de l’EPR de Penly. Le gouvernement a en effet tranché, c’est à EDF qu’a été confiée l’exploitation du futur réacteur (s’il voit le jour), au nom de son expérience. GDF, qui a des ambitions déclarées dans le nucléaire, n’entendait pas s’en tenir au seul rôle d’investisseur et a donc retiré sa mise, laissant à son concurrent le soin de combler le manque
– environ un quart du budget.
Le coup de sabot de l’âne ? Peut-être bien, mais pas forcément parti d’où l’on pense. En effet, c’est dans l’intérêt d’EDF d’avoir les mains libres à Penly, dans le but de… ne pas avoir à se décider trop vite, et d’attendre notamment que Flamanville essuie les plâtres. Car l’EPR, dont Areva a assuré l’essentiel de la conception (avec l’Allemand Siemens), n’a jamais soulevé l’enthousiasme chez l’électricien. Le parti de la réticence a encore marqué des points en juillet à la lecture du rapport remis au gouvernement par l’ancien président d’EDF, François Roussely. Il n’est guère tendre : « La complexité de l’EPR résultant des choix de conception, notamment du niveau de puissance [^2] […], est certainement un handicap pour sa réalisation et ses coûts. »
Traduction : le réacteur est mal adapté au marché international, dont la filière nucléaire française attend pourtant un effet salvateur [^3]. Après la vente de deux EPR à la Chine en 2007 pour le site de Taishan, très grosse déconvenue en mars à Abou Dhabi, où un concurrent sud-coréen a raflé le marché à Areva, trop sûr de son réacteur.
[^2]: 1 650 mégawatts, le plus puissant modèle actuellement en cours de construction.
[^3]: Pour la France, la question d’une relance du nucléaire est sans objet avant 2030, mais il s’agit d’entretenir le savoir-faire technique de l’industrie, qui s’étiole faute de commandes : Civaux (Vienne), le dernier chantier avant Flamanville, date de 1988.