Sahara occidental : le conflit oublié
Une conférence internationale s’est tenue fin septembre à Alger sur la résistance sahraouie au Maroc. L’occasion de revenir sur cette lutte d’indépendance qui dure depuis 1975 et de dénoncer des violations de droits de l’homme.
dans l’hebdo N° 1124 Acheter ce numéro
C’est peu dire que l’on parle peu du conflit au Sahara occidental, de l’occupation par le Maroc d’une grande partie du territoire de l’ancienne colonie espagnole et de la résistance depuis 1975 du Front Polisario (Front populaire pour la libération de la Saguia El Hamra et le Rio de Oro, dénomination datant de l’époque coloniale), soutenu fortement par l’Algérie. Un conflit qui a fait pourtant l’objet de nombreuses résolutions de l’ONU, avec la présence sur place d’une mission des Nations unies chargée de surveiller le cessez-le-feu entre le Maroc et le Front Polisario en vigueur depuis 1991, et surtout de préparer l’organisation d’un référendum d’autodétermination. Référendum qui n’a jamais eu lieu.
C’est pour tenter de briser ce silence qu’une conférence internationale sur la résistance du peuple sahraoui s’est tenue fin septembre à Alger [^2]. Elle a rassemblé plusieurs centaines de personnes, militants européens ou sud-américains, représentants du Front Polisario, officiels algériens ou diplomates des pays qui soutiennent la République arabe sahraouie démocratique (RASD), auto-proclamée en 1976, non reconnue par l’ONU et les pays occidentaux mais par plus de 80 États à travers le monde, dont de nombreux en Afrique et en Amérique latine. Le Premier ministre de la RASD, Omar Taleb Abdelkader, qui conduisait la délégation sahraouie, y a dénoncé « l’occupation » , « la répression » et « le pillage des richesses » du Sahara occidental par le Maroc, sous les acclamations et les youyous de l’assistance et notamment des 72 militants sahraouis venus de Lâayoune, principale ville de la partie occupée par le Maroc, qui reprenaient régulièrement le slogan « Labadil labadil, antakrir al massir ! » (Pas d’autre solution que l’autodétermination !). C’est en effet cette question de l’autodétermination qui pose problème depuis plus de vingt ans, le Maroc refusant aujourd’hui la tenue d’un référendum à cause d’un différend sur le possible corps électoral : l’État chérifien a beaucoup investi dans la partie occidentale de l’ancienne colonie espagnole, qu’il contrôle depuis l’invasion de 1975 suite à la fameuse « Marche verte » voulue par Hassan II, en organisant l’installation de nombreux Marocains sur ce territoire. Mais, pour le Premier ministre de la RASD, « le régime marocain refuse le référendum parce qu’il comprend qu’il ne peut mener qu’à l’indépendance » .
Ce conflit ancien a longtemps pris la forme d’un affrontement armé entre le Maroc et le Front Polisario. Une véritable guerre a eu lieu de 1976 à 1979, qui a permis au Front Polisario de « libérer » une petite moitié à l’est de l’ancienne colonie espagnole et de conclure un accord de paix avec la Mauritanie, qui a renoncé à s’emparer du sud du territoire. Mais, depuis la fin des années 1970, le Maroc a figé la situation en construisant des murs de plusieurs milliers de kilomètres à travers le désert, afin d’isoler la partie de territoire contrôlée par le Front Polisario qui jouxte l’Algérie. Celle-ci a d’ailleurs accueilli à cette époque près de 100 000 réfugiés sahraouis dans les environs de Tindouf, ville toute proche du Sahara occidental, où ils vivent depuis trois décennies dans des camps en plein désert. Depuis le début des années 1980, c’est donc un statu quo bancal qui perdure, en dépit d’accrochages entre les deux parties, le Maroc ne cessant d’arguer de la « marocanité » du Sahara occidental, et le Front Polisario ne cessant d’exiger la tenue d’un référendum d’autodétermination sur la base du recensement effectué par l’Espagne en 1973.
Les intervenants à la conférence d’Alger ont insisté sur les violations des droits de l’homme de la part du Maroc envers les militants sahraouis. À l’instar de ce militaire nigérian, ancien de la Minurso, Esegbuyota Okiti, qui a dénoncé « la répression féroce exercée contre la résistance pacifique des Sahraouis dans les territoires occupés » . Demandant que la mission de l’ONU soit « élargie à la protection des droits de l’homme » , ce qui n’est pas le cas jusqu’à présent, le commandant Okiti a raconté comment des « femmes ont été, en 2005, battues, rouées de coups sous nos yeux, sans que nous, militaires de la mission de l’ONU, puissions réagir » . 2005, date importante pour l’évolution récente du conflit. C’est cette année-là que des manifestations pacifiques, surtout de jeunes Sahraouis, ont eu lieu dans les principales villes sous contrôle marocain, montrant un changement de stratégie de la part du Front Polisario dans ces territoires. Si celui-ci demeure un mouvement armé dans les territoires contrôlés par la RASD, soutenue par l’Algérie, il semble qu’il ait choisi une voie pacifique de protestations de masse dans ceux sous contrôle marocain.
Présent également à Alger, le ministre de la RASD « des Territoires occupés et des Sahraouis émigrés », Khalil Sid’Mohamed, personnage haut en couleur, cigarette sans cesse aux lèvres, a insisté sur cette stratégie : « Il s’agit aujourd’hui de montrer au monde les violations des droits de l’homme contre les Sahraouis qui mènent une résistance exclusivement pacifique pour la libération de leur pays. » Et de poursuivre : « Avant, le Maroc vendait l’image de Sahraouis des territoires en faveur du Maroc, aujourd’hui, la presse internationale, même française, ne peut se rendre là-bas. » Persuadé que cette stratégie ne peut que payer à terme, Khalil Sid’Mohamed voit dans la récente proposition « de large autonomie » de la part du Maroc « un premier signe du résultat de cette lutte » . Le ministre de la RASD concluait alors : si le royaume chérifien a cru trouver cette « solution » pour abandonner toute idée de référendum, « que les Sahraouis la votent ! »
Il reste que la situation des militants dans les territoires sous contrôle marocain est loin d’être paisible. Les nombreux témoignages et photographies présentés à Alger montraient les exactions des forces marocaines de sécurité, qui pratiquent régulièrement des enlèvements temporaires suivis de passages à tabac sur ceux qui osent manifester publiquement. Et ceux-là ne peuvent ensuite se faire soigner dans les hôpitaux, les médecins ayant des consignes ou tout simplement peur de représailles de la police s’ils prodiguent des soins à ces blessés très particuliers. De retour de la conférence, certains des 72 militants sahraouis qui avaient fait le voyage à Alger ont d’ailleurs été accueillis par la police marocaine à coups de matraque, tout comme leurs accompagnateurs espagnols, membres du comité de soutien à la cause sahraouie installé à Madrid.
Depuis, alors qu’il terminait une tournée régionale à Alger, Rabat, dans les territoires contrôlés par la RASD et à Nouakchott (Mauritanie), l’Américain Christopher Ross, le nouvel envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies, a annoncé qu’il était parvenu à un accord pour relancer « début novembre » une nouvelle session de pourparlers entre le Maroc et le Front Polisario. Or, à la veille de l’arrivée au Maroc de Christopher Ross pour un entretien avec Mohamed VI, près de 10 000 Sahraouis des principales villes des territoires sous contrôle marocain quittaient celles-ci, en particulier Lâayoune, pour s’installer sous des tentes à leur périphérie, dans ce qu’ils ont d’ores et déjà appelé des « camps de l’indépendance » , et réclamer de meilleures conditions de vie, des logements décents et des emplois. Or, il y a quelques semaines, Christopher Ross avait déclaré que, dans la partie du Sahara occidental sous contrôle marocain, « la situation ne peut plus durer et l’on est sans doute à la veille d’une explosion » . Aurait-elle déjà débuté ?
[^2]: Une autre conférence, européenne cette fois, « de coordination du soutien au peuple sahraoui » aura lieu ce week-end au Mans (Palais des congrès et de la culture, du 29 au 31 octobre 2010). Voir : http://eucocolemans.org