« Belle épine » : Un film aux aguets

« Belle Épine » est un film libre et frémissant autour du trajet d’une adolescente atomisée par la mort de sa mère.

Christophe Kantcheff  • 11 novembre 2010 abonnés

Àvoir le C.V. de Rebecca Zlotowski – scénariste, ancienne élève de Normale sup qui a enseigné à l’Université –, on devine la jeune réalisatrice attachée au verbe. Pourtant, son premier film, Belle Épine , s’écarte de la tradition littéraire, ou théâtrale, majoritaire dans le cinéma français. Elle signe ici un film très peu dialogué, dont le personnage central, Prudence, est opaque, taiseux, rentré en soi. Un film behavioriste où les personnages se révèlent essentiellement par leurs faits et gestes, les émotions passant à travers les visages et les corps.

Tous les comédiens sont dans le ton, en particulier les jeunes filles, Anaïs Demoustier, Agathe Schlencker – une belle découverte – et, bien sûr, Léa Seydoux, qui interprète Prudence. Elle est remarquable dans la peau de cette adolescente atomisée par la mort de sa mère survenue quelques jours plus tôt, livrée à elle-même, une Prudence prête à prendre tous les risques pour se brûler plus encore. Léa Seydoux irradie le film de son énergie à vif, de sa fragilité butée. On ne l’avait jamais vue ainsi : elle a la beauté cachée du personnage, pas celle, exposée, de l’actrice.

En se délestant de figures qui finissent, au cinéma, par être imposées (explications psychologiques, réalisme social…), mais en ne cherchant pas non plus le contre-pied systématique (ce qui serait une autre forme de contrainte), Rebecca Zlotowski signe un film libre. Un film étonnamment léger, sans inertie ni lourdeurs, frémissant comme un organisme vivant, un film aux aguets. La cinéaste a choisi de placer l’action à la charnière des années 1970 et 1980 (pour éviter, toujours en quête de liberté, une trop grande charge autobiographique ?), mais elle ne reconstitue pas. Elle garde l’esprit de cette époque, une ambiance musicale, une couleur. La caméra ne s’appesantit jamais. Elle se tient près de Prudence et l’accompagne partout, dans le mystère d’un circuit où des motards tutoient le danger, dans l’inconnu de la solitude qui s’est abattue sur elle à la mort de sa mère.

Mais, surtout, elle finit par faire accéder le spectateur à la vie intérieure de Prudence. Encore une fois : sans aucun discours. Mais par la grâce d’un travelling alors que la jeune fille est emportée sur une moto comme dans un rêve. Ou par l’audace d’une apparition quasi fantastique, qui foudroie d’émotion celle qui n’est plus une enfant, et qui désormais va devoir entrer de plain-pied dans l’univers des adultes. Rebecca Zlotowski affectionne les trajets. Elle a réussi celui de Prudence. À la fin de Belle Épine , celle-ci n’est plus la même. Dénuée de toute protection, désormais, elle est certainement plus forte.

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