Business is business, Fatima
dans l’hebdo N° 1125 Acheter ce numéro
Interview d’« Élisabeth Badinter, philosophe », dans le Journal du Dimanche : il s’agit, tu sais, de cette femme, incroyablement courageuse, qui nous fit naguère de sa prose (et de celle d’une poignée de penseurs de gros niveau) un rempart contre un (ne ris pas) « Munich de l’école républicaine » où trois collégiennes voilées fomentaient, si j’ai bien compris, l’annexion des Sudètes.
Poursuivant son juste combat (un combat « vraiment capital » , dit-elle) contre les nazi(e)s musulman(e)s, Élisabeth Badinter, après avoir, donc, terrassé trois collégiennes (de banlieue), s’en prend, cette fois-ci, à une éducatrice (également de banlieue) qui souhaitait, l’impudente coquine, travailler voilée dans une crèche de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines) – alors quoi, demande Élisabeth Badinter (que l’arrogance des mahométanes insupporte décidément), « les enfants de 0 à 6 ans n’ont-ils pas droit à la même neutralité que les plus grands ? [^2] » . (Laisserons-nous les fil(le)s d’Allah s’emparer de ces nourrissons ?)
L’intéressant n’est pas tant, là, dans la répétition, désormais classique, d’une logorrhée où les musulmanes voilées sont par système (re)présentées comme des pauvres sottes soumises – que dans la (re)présentation que fait dans le même temps le Journal du dimanche d’Élisabeth Badinter.
La chère femme n’est en effet pas seulement « philosophe » , comme le soutient gentiment l’hebdomadaire : elle est aussi, et surtout – mais ce n’est pas dit –, l’actionnaire de référence du fort conséquent groupe Publicis, dont elle préside le conseil de surveillance.
Or, que trouve-t-on, par exemple, dans ce groupe ?
On trouve la société Publicis Graphics, dont le site officiel nous apprend (in english, mais je suis gentil, je traduis) que, depuis son établissement au Liban en 1973, elle a essaimé dans plusieurs pays de la région, including les Émirats arabes unis, le Koweit, l’Arabie Saoudite, le Qatar, la Jordanie, l’Égypte, Bahrein, la Turquie et l’Iran.
Adoncques : nous avons deux Élisabeth Badinter.
Nous avons, d’une part, l’Élisabeth Badinter qui dans le Journal du dimanche fustige, au nom du « principe de laïcité » , l’outrecuidante éducatrice des faubourgs qui a le front de prétendre bosser voilée – comme si nous allions tolérer ce München des crèches républicaines.
Puis nous avons, d’autre part, l’executive Élisabeth Badinter, qui fait du pognon avec l’Arabie Saoudite et quelques autres exemplaires démocraties du coin – sans trop se formaliser qu’elles négligent des fois le « principe de laïcité » – parce que bon, les principes, n’est-ce pas : c’est bien, mais faut pas non plus que ça tue le business.
[^2]: Naturellement : c’est pour le bien de cette éducatrice (et de l’ensemble de ses coreligionnaires) et au nom, il va de soi, de leur « totale liberté de conscience » qu’Élisabeth Badinter veut lui interdire de travailler voiler – sans quoi, tu l’as compris, la plaisanterie serait moins cocasse.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.