Ce vain G20…
dans l’hebdo N° 1126 Acheter ce numéro
L’actuel président de la République n’est pas le premier à tâter du double langage. Avant lui, Jacques Chirac avait cette manie de devenir un « autre » chaque fois qu’il se hissait sur la scène internationale. Avec une admirable mauvaise foi, il savait devenir écologiste, socialiste, et même anticapitaliste dans les sommets européens ou planétaires. On le regardait dénoncer – et avec quelle conviction ! – les politiques libérales qui faisaient pourtant son ordinaire en France.
Rappel : Nous organisons samedi 20 novembre à Paris un colloque sur le thème « La science face à la démocratie ». L’affiche est belle et le sujet passionnant. Entrée libre vers 13 h et, comme on dit, dans la limite des places disponibles.
Avec le G20 qui s’ouvre vendredi à Séoul, Nicolas Sarkozy va lui aussi s’adonner à cet exercice de dédoublement de personnalité. Faisons-lui confiance pour condamner les excès de la finance, se poser en organisateur de la gouvernance mondiale, en moralisateur du capitalisme, en ennemi juré de la spéculation. Mais, dans les circonstances actuelles, le docteur Jekyll aura du mal à faire oublier Mr Hyde. S’il n’a pas plié sur les retraites, Nicolas Sarkozy a quand même subi pendant plus de deux mois un véritable pilonnage idéologique qui le laisse groggy. Sa réforme, qui devait passer pour une bluette philanthropique, est peu à peu apparue pour ce qu’elle était : une étape vers la liquidation du système par répartition, et une offensive des fonds de pension. Symboliquement, la création avec une remarquable concomitance d’une société développant l’épargne-retraite et, qui plus est, présidée par Guillaume Sarkozy, le grand frère du Medef, a été interprétée comme un aveu [^2].
Qu’importe ! L’ami, ici, de la finance et des fonds de pension fustigera, là-bas, la finance et les fonds de pension. Promu pour un an président du G20, Nicolas Sarkozy-Dr Jekyll fera assaut contre Sarkozy-Mr Hyde. Autant dire tout de suite que notre incrédulité sera totale. D’autant plus que les grandes puissances que sont la Chine et les États-Unis ont sérieusement miné le terrain avant même que le G20 ne débute. L’objectif affiché, par le président français notamment, d’éviter une « guerre des monnaies » a déjà perdu tout son sens. Depuis plusieurs semaines, la Chine joue de la faiblesse du yuan. Et voilà que le président de la Federal Reserve, la banque centrale américaine, annonce qu’il va faire tourner massivement la planche à billets (Ben Bernanke appelle ça « lancer des dollars depuis l’hélicoptère » ) pour injecter 600 milliards de dollars dans l’économie de son pays. Le résultat est garanti : à l’extérieur, c’est l’équivalent d’une dévaluation compétitive qui va pénaliser les économies des pays émergents et en faire la proie des spéculateurs. Parce que tel est le bon plaisir du roi dollar.
Et, à l’intérieur, la décision de la « Fed » va fournir de la monnaie de singe aux banques américaines, lesquelles vont de nouveau encourager le crédit. Cela dans une société où les chômeurs et les travailleurs pauvres sont de plus en plus nombreux (voir notre dossier). Le surendettement américain, ça ne vous rappelle rien ? Voilà la machine capitaliste fonçant de nouveau pied au plancher en direction du mur contre lequel elle s’est fracassée il y a à peine trois ans. Selon le vice-ministre chinois des Finances, les capitaux volatils à travers le monde s’élèvent aujourd’hui à 10 000 milliards de dollars, contre 9 000 au début de la crise des subprimes.
Quel effet nous feront, dans cette situation, les moulinets de bras de Nicolas Sarkozy, décrédibilisé chez nous par le conflit des retraites (entre autres choses), et d’avance contredit à l’étranger par les deux plus grandes puissances mondiales ? La « guerre des monnaies » que le G20 était censé éviter ? Elle fait rage. Quant à la fameuse « régulation financière », c’est une antiphrase. Il s’agit, dit-on, de renforcer le capital des banques pour les rendre plus résistantes aux chocs financiers. Ne serait-il pas plus logique d’empêcher les chocs financiers ? Au lieu de cela, les banques vont être, à l’inverse, encouragées à poursuivre ces activités spéculatives qui produisent… les chocs financiers.
Tels sont ces sommets des vingt pays les plus riches du monde (ils représentent 90 % du produit intérieur brut mondial) depuis qu’ils ont été inventés, en 1999 : des tribunes d’où l’on déploie une rhétorique destinée à abuser les peuples. Pour cette pantomime, notre Sarkozy sera parfait, puisque plus personne ne le croit ni ne l’écoute. Vivement donc ce vain G20 qui n’aura finalement de vertus que pour ces chefs d’État et de gouvernement en délicatesse avec leurs peuples. Accessoirement, Nicolas Sarkozy pourra oublier pendant quarante-huit heures la pagaille qu’il a lui-même créée dans la cour du château. Là non plus, il n’est pas le premier président à semer la zizanie dans son propre camp. Mais lui perd le contrôle de la manœuvre et se prend les pieds dans le tapis. À Séoul, il fera du mauvais Chirac. À Paris, il nous fait du mauvais Mitterrand.
Voir l’édito en vidéo.
[^2]: Sur ce sujet, vous pouvez toujours consulter le blog très informé de Thierry Brun. Il a déjà pulvérisé tous les records de fréquentation (le blog, pas Thierry Brun).
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.