Controverses 2.0
Nanotechnologies, pesticides, tests génétiques, environnement… Des citoyens et des chercheurs débattent sur Internet des applications de la science dans la société.
dans l’hebdo N° 1127 Acheter ce numéro
« Qui se définit comme geek ? » Nous sommes à la Cantine, lieu parisien hautement connecté, pour une première réunion en vie réelle d’un nouveau type de réseau, et c’est l’une des questions posées au public. Ici on parle de live-blogging, de serious games, de bookmarking ou encore de cross-post. Et pourtant l’univers en question est loin d’être hermétique. Il se veut même le lieu d’expression d’un nouveau type de lien social autour des controverses scientifiques. De jeunes initiatives qui ne passent pas inaperçues. Owni, le site français spécialisé dans le journalisme de données, à l’instar de Wikileaks, vient d’être primé par la Online News Association américaine. Il lance OwniSciences. « Nous republions ce qui existe, comme des blogs de chercheurs, en le magnifiant avec du graphisme, et nous produisons ce qui n’existe pas. Le but, c’est de l’information et du débat » , décrypte Martin Clavey, l’un des initiateurs du projet.
Celui-ci a vu le jour dans le creuset commun à plusieurs projets de culture scientifique numérique : Knwotex, site de réseau social scientifique et de bookmarking, cette technique de navigation sociale qui permet de mettre à disposition d’une communauté ses signets favoris, ou encore le c@fé des sciences, une communauté de blogs de sciences français. L’association Science et démocratie apparaît presque comme vétéran avec ses cinq ans d’existence.
« Nous sommes spécialisés dans le débat scientifique démocratique. Ce que l’on gagne par rapport aux initiatives dans l’espace réel ? Du temps pour les controverses, de l’effectif et un moindre coût » , explique son fondateur, Philippe Bourlitio. Le site égrène les débats au fil du temps. Abeilles et pesticides, tests génétiques, environnement et santé. « Nous avons même produit un cahier d’acteur [contribution écrite rédigée par un acteur du débat] nourri des contributions pour le débat public national sur les nanotechnologies l’an dernier. »
À venir, un débat sur la culture scientifique elle-même. Antonio Casilli [^2] est sociologue à l’EHESS, spécialiste des questions liées à Internet et partie prenante dans le projet OwniSciences. « Internet ne dématérialise pas les pratiques de controverses sociotechniques classiques, mais les prolonge. Les forums citoyens en ligne peuvent bousculer les certitudes scientifiques. Ce n’est pas nouveau et a déjà été observé dès les échanges télématiques du pré-web en 1988. Des personnes atteintes par le VIH avaient réussi, dans un réseau de résistance civile électronique, à faire évoluer les protocoles d’essais cliniques américains. »
Pour le moment, les débats portent surtout sur les applications de la science dans la société. Même si Martin Clavey espère aller plus loin : « Nous voulons aussi pousser les chercheurs à faire de l’open science. Des publications libres, accessibles à tous sur Internet, comme cela se fait déjà sur PLoS. » Ou arXiv en physique, en mathématique ou en informatique. Et le nouveau public se met à rêver de blogs intégrés au processus de production de la science.
[^2]: Les Liaisons numériques, Antonio Casilli, Ed. du Seuil, 331 p., 20 euros.
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