Ombres et lumières de la bio
Le salon Marjolaine est l’occasion de faire le bilan de la production biologique en France. En forte progression, le secteur reste cependant fragile et doit se prémunir contre l’appétit de la grande distribution.
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Créé en 1976, le salon Marjolaine a accompli depuis cette époque héroïque, mêlant la bio et des pratiques farfelues qui desservaient les agriculteurs et les transformateurs, un certain nombre de progrès, même si sa société organisatrice, la SPAS, n’a pas encore totalement exilé les produits et les offres qui flirtent parfois avec le charlatanisme dans les autres manifestations qu’elle organise, par exemple le Salon zen ou le Salon du bien-être. On dénombre 130 exposants sur 550 proposant des produits qui relèvent de l’aromathérapie, de la cosmétique, des compléments alimentaires ou de la santé, comme, par exemple, ce « coussin qui fait du bien » . Ce déséquilibre se retrouve également dans les ateliers et nombre de conférences.
Ce grand salon, qui se déroule au Parc floral de Paris du 6 au 14 novembre, se met aussi en porte-à-faux par la présence trop discrète de fruits et légumes frais, alors que des statistiques récentes montrent une progression qui atteint 16 % du marché de la bio, ce chiffre n’incluant ni les quantités grandissantes passant par les Amap ni celles écoulées par vente directe à la ferme. Les acheteurs, ceux que l’on nomme désormais les consom’acteurs, ont en effet compris que l’écologie appliquée, pour le vendeur comme pour le client, passe par le contournement des intermédiaires, et que produire et consommer bio n’est pas une religion mais un choix social, politique et économique…
Cette progression régulière de la filière fruits et légumes, ainsi que celle des viandes fraîches ou des charcuteries, illustre un décollage de l’alimentation bio dans un pays qui, après avoir été pionnier dans les années 1970, a pris un retard considérable sur la plupart de ses voisins européens. Fin juillet 2010, la France comptait presque 20 000 exploitations vouées à la production bio avec une progression de près de 3 000 depuis le début de l’année, alors qu’elles n’étaient que 12 200 à la fin de 2008. Chiffre impressionnant même s’il est dopé par la forte augmentation des surfaces consacrées à la production biologique de vin, pour lesquelles, il faut le rappeler, seule la qualité biologique des raisins est garantie, et non la suite de la préparation. Par exemple, entre 2009 et 2010, le nombre de vignobles passés au bio dans le Beaujolais a augmenté de 30 %, ce qui n’a pas nécessairement amélioré la qualité de nombreuses bouteilles, que le breuvage soit « nouveau » ou pas…
Reste que ces chiffres encourageants résistent mal à la comparaison avec l’Espagne (1, 6 millions d’ha), l’Italie (1,1 million d’ha), l’Allemagne (950 000 ha), la Grande-Bretagne (738 000 ha) et évidemment l’Autriche (518 000 ha), la superficie de ce dernier pays étant largement inférieure à celle de la France. Les résistances, contournées par les bons sentiments du Grenelle de l’environnement, sont connues : l’omniprésence de la FNSEA, le syndicalisme agricole héritier de l’agriculture intensive, les pressions de l’industrie des engrais et des pesticides chimiques, et les difficultés financières des agriculteurs qui veulent se reconvertir mais restent bien moins aidés que les grands producteurs de maïs, de blé ou de betteraves. Il suffit, pour mesurer ce poids des mauvaises habitudes, de se souvenir de la fameuse phrase du président de la République, lors de sa visite au dernier Salon de l’agriculture : « Je voudrais dire un mot de toutes ces questions d’environnement, parce que là aussi ça commence à bien faire. Je crois à une agriculture durable. […] Mais il faut que nous changions notre méthode de mise en œuvre des mesures environnementales en agriculture. »
Les salons bio, Marjolaine et d’autres en province, illustrent également le reproche fréquemment adressé à l’alimentation bio : des prix souvent élevés comparativement à ceux de l’agriculture dopée aux produits chimiques. Alors que la consultation des mercuriales officielles du ministère de l’Agriculture fait apparaître que, pour les produits frais, les prix à la livraison aux circuits commerciaux sont souvent semblables. Avec un surcoût ne dépassant pas, en moyenne, 5 à 10 %. Sur les marchés forains où vendent les producteurs, les prix restent équivalents ou proches. Ce n’est pas le cas dans certains magasins spécialisés et jamais dans les grandes surfaces. Lesquelles réalisent désormais près de la moitié des ventes, tous produits confondus, contre à peine 30 % pour les « chaînes » spécialisées et 12 % pour les boutiques indépendantes. Explication : à côté de milliers de références, Auchan, Leclerc, Carrefour et les autres ont compris les avantages pour leur image d’un passage très relatif au bio, y compris en proposant parfois des produits, frais ou préparés, vendus sous leur seule garantie. Pour les super et les hypermarchés, le chiffre d’affaires est négligeable, mais rapporte un maximum en termes de communication.
Tout en progressant dans les cantines, et en s’invitant plus souvent dans les assiettes des Français, la bio souffre encore de son image floue. Les polémiques sur le sigle AB et son pendant européen ne peuvent que nuire à un secteur encore trop fragile. Les garanties apportées peuvent être discutées et améliorées, mais prôner de nouveaux labels privés comme le font certains intégristes ne peut que servir les objectifs de la grande distribution, impatiente de pouvoir vendre n’importe quoi en s’abritant derrière un étiquetage qu’elle sera la seule à contrôler.