Vers un retour à la guerre ?
L’armée marocaine a violemment démantelé un camp de Sahraouis à Lâayoune. La stratégie pacifique du Polisario devient difficile à tenir.
dans l’hebdo N° 1126 Acheter ce numéro
Alors que près de 18 000 Sahraouis sont installés depuis la mi-octobre sous des tentes dans un grand campement dit « de l’indépendance » à la sortie de Lâayoune, principale ville du Sahara occidental dans la partie occupée par le Maroc, pour protester pacifiquement contre leurs conditions de vie et manifester pour le droit à l’autodétermination de leur peuple, une troisième session de négociations entre le Front Polisario et le Maroc devait débuter lundi 8 novembre à New York sous l’égide des Nations unies. Négociations qui semblent bien mal parties puisque, la veille, le roi Mohamed VI s’était fendu d’une déclaration pour le moins provocatrice, estimant que le Front Polisario mène « une répression » (sic) contre les réfugiés sahraouis – qu’il considère comme des ressortissants marocains – dans les camps de Tindouf, cette partie de territoire que l’Algérie a « dévolue » au Polisario et à la République arabe sahraouie démocratique (RASD), non reconnue par la France et l’Union européenne mais membre de l’Union africaine.
Pourtant, au-delà des déclarations de Mohamed VI, c’est bien la situation dans la partie du Sahara occidental sous contrôle marocain depuis 1975 qui préoccupe les observateurs, laissant présager un nouvel échec des négociations. À Lâayoune, dimanche 7 novembre dans la soirée, l’armée et la gendarmerie marocaines, après avoir coupé l’éclairage public dans toute la ville, ont encerclé les quartiers sahraouis. Des civils marocains armés ont ensuite prêté main-forte aux militaires, qui ont affronté les Sahraouis, surtout des jeunes, victimes de tirs à balles réelles et de matraquages. Selon des sources proches du Front Polisario, on a relevé plus d’une centaine de blessés, qui ont pu être évacués vers des centres de soins.
Des militants des droits de l’homme auraient aussi été arrêtés, dont Naama Asfari, en pointe dans le mouvement contre l’occupation marocaine. Un de ses camarades, M. Toubali, a eu les deux jambes écrasées par un camion militaire. Mais cette opération punitive ne faisait en fait qu’en précéder une autre de plus grande envergure : l’assaut du « camp de l’indépendance ». Là encore, selon un correspondant de l’AFP, de nombreux blessés auraient été transportés en ambulance jusqu’à Lâayoune et un grand nombre de tentes auraient été incendiées. Sept morts seraient à déplorer après l’attaque du camp, en plus d’un certain nombre de disparus. Des incendies en ville ont ensuite été constatés lundi en milieu de journée, notamment au siège local de la télévision, qui auraient pour cause, selon des sources marocaines, « un soulèvement social » …
Ce jour-là, un député français, Jean-Paul Lecoq (PCF), qui tentait de se rendre à Lâayoune, a été tout bonnement remis dans un vol pour Paris après une escale à Casablanca. Cette montée de la violence avait pourtant été pressentie par Christopher Ross, envoyé spécial des Nations unies, responsable de la Minurso, la mission de l’ONU chargée de surveiller le cessez-le-feu en place depuis 1991, à la veille de sa rencontre avec Mohamed VI fin octobre. De son côté, le Front Polisario se trouve également dans une position délicate. Dans une interview publiée le 8 novembre dans l’Humanité , le président de la RASD, Mohamed Abdelaziz, en visite en France à l’occasion de la 36e conférence européenne de soutien aux Sahraouis, qui s’est tenue au Mans fin octobre, a lui aussi parlé de « situation en train de devenir explosive » .
Or, c’est bien la stratégie – aujourd’hui « pacifique » – du Polisario qui est en jeu, Mohamed Abdelazziz reconnaissant que « la direction sahraouie est sous la pression continue de la base » . Prônant en effet une lutte « pacifique et démocratique dans les territoires occupés » , le Front Polisario sait qu’une partie de ses troupes, en particulier les plus jeunes, qui n’ont connu que les vexations et la misère dues à l’occupation marocaine, voudraient en découdre et renouer avec la lutte armée. Aussi le président de la RASD admettait-il que « le retour à la guerre est une donnée permanente eu égard à la déception et à l’intransigeance du gouvernement marocain » .
Mais la reprise des combats serait à haut risque pour le Front Polisario, qui pourrait alors voir les puissances occidentales, déjà fort bien disposées vis-à-vis du Maroc (à quelques exceptions près, comme certains pays scandinaves), le rejeter dans le camp du « terrorisme international », certains responsables français n’ayant pas hésité à évoquer d’hypothétiques liens dans le désert entre Al Qaïda-Maghreb islamique (AQMI) et le Polisario. C’est sans doute l’une des principales raisons pour la RASD de poursuivre une stratégie « de lutte de masse non-violente » . Les événements de Lâayoune changeront-ils la donne ?