À contre-courant / Les forêts sommées de travailler plus

Jean-Claude Diébolt  • 23 décembre 2010 abonné·es

Le slogan « Produire plus tout en préservant mieux la biodiversité », mis en avant lors du Grenelle de l’environnement, a l’air de sortir tout droit d’une plume élyséenne. Il nous rappelle le « travailler plus pour gagner plus ». Cet objectif assigné aux forêts françaises, en accentuant l’aspect productif, est en complet décalage avec l’idée du développement durable, car une fois de plus on confond développement et croissance. Cette fois, la croissance serait « verte » puisque le bois est une matière renouvelable. Ce slogan est une réussite, le parfait symbole de notre société du tout-économique et de l’antinature. Pourtant, les spécialistes de la forêt savent que le mal de la France n’est pas de produire trop peu de bois mais de très mal le transformer en produits à haute valeur ajoutée. Dès lors, « produire mieux tout en préservant plus » aurait été plus judicieux.

Ce slogan est véritablement schizophrénique, car produire plus de bois tend nécessairement à faire couper plus d’arbres pour augmenter le volume produit. Pour cela, on peut couper des arbres de tout diamètre selon les usages, en particulier les arbres les plus âgés, qui ont l’immense avantage de fournir le plus de volume par unité  et de faciliter la régénération naturelle après leur départ. Or, couper plus d’arbres âgés, c’est supprimer les espèces liées à ces vieux arbres vivants ou morts, ce qui représente le tiers de la biodiversité de nos forêts, donc ce n’est certainement pas préserver mieux la biodiversité.
À l’inverse, si l’on veut mieux préserver la biodiversité des forêts, il faut épargner les espèces les plus difficiles à protéger, à savoir celles liées aux stades âgés et sénescents qui nécessitent de garder les arbres le plus longtemps possible, donc de ne pas couper trop de gros arbres et, forcément, de ne pas produire plus. En clair, les deux parties de cette injonction gouvernementale sont incompatibles entre elles.
Pour l’industrie du bois, produire plus signifie planter, de préférence des résineux, plutôt que d’avoir recours à la régénération naturelle : la forêt est sommée de s’adapter à la filière bois et pas l’inverse. Cela revient à « construire » une forêt qui ressemblera à un champ d’arbres. La mécanisation croissante avec des abatteuses rend possible le vieux rêve de certains ingénieurs forestiers : industrialiser la gestion forestière pour copier le modèle agricole.

Dans cette grande offensive pour exploiter plus de bois, les forêts de montagne inaccessibles vivent leurs derniers moments, et les vieilles forêts, qualifiées de « vulnérables », vont être coupées. L’usage des mots employés par les forestiers n’est pas neutre. À eux la sylviculture « dynamique » (qui consiste à intervenir plus tôt dans les jeunes stades de la forêt pour obtenir des arbres au bon diamètre final en beaucoup moins de temps qu’avant). Ça fait jeune, ça sent bon le progrès. Et aux protecteurs de la nature on laisse la gestion « conservatrice », dénoncée par les productivistes (parce que l’on ne coupe pas assez vite les vieux arbres) : ça fait vieux et ringard, ça sent presque le réactionnaire qui s’entête à s’opposer à la voie du progrès. Cela nous rappelle la rhétorique néolibérale face aux syndicats qui campent sur leurs acquis sociaux tels des attardés…

Pour mieux faire passer la pilule du « produire plus » aux naturalistes, l’Office national des forêts propose de mettre en place des îlots de sénescence dans les forêts de l’État. Ce sont des portions de quelques hectares où les arbres ne seront plus coupés. L’objectif est de maintenir 1 % de la forêt domaniale en îlots de sénescence. Mais quid des 99 % autres ? Face au risque de rajeunissement généralisé auquel nous allons assister dans les années à venir, si rien ne vient infléchir cette politique, ces îlots seront en quelque sorte l’arbre qui cache les fourrés ! Le slogan du Grenelle annonce donc clairement la couleur. En produisant plus, il y aura moins de biodiversité. Conséquence pratique : la préservation de la nature restante sera plus facile. En route pour la muséographie de la biodiversité des forêts : une mare par ici, une clairière par là et un îlot de sénescence au milieu. Incontestablement plus simple à protéger !

Écologie
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…

Une proposition de loi surfe sur la colère agricole pour attaquer violemment l’environnement
Environnement 19 novembre 2024 abonné·es

Une proposition de loi surfe sur la colère agricole pour attaquer violemment l’environnement

Deux sénateurs de droite ont déposé une proposition de loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». Mégabassines, pesticides, etc. : elle s’attaque frontalement aux normes environnementales, pour le plus grand bonheur de la FNSEA.
Par Pierre Jequier-Zalc
« L’élection de Trump tombe à un très mauvais moment pour le climat »
Entretien 13 novembre 2024 abonné·es

« L’élection de Trump tombe à un très mauvais moment pour le climat »

Climatosceptique de longue date, Donald Trump ne fera pas de l’écologie sa priorité. Son obsession est claire : la productivité énergétique américaine basée sur les énergies fossiles.
Par Vanina Delmas
« Des événements comme la COP 29 n’apportent pas de transformations politiques profondes »
Entretien 8 novembre 2024 abonné·es

« Des événements comme la COP 29 n’apportent pas de transformations politiques profondes »

Le collectif de chercheurs Scientifiques en rébellion, qui se mobilise contre l’inaction écologique, sort un livre ce 8 novembre. Entretien avec un de leur membre, l’écologue Wolfgang Cramer, à l’approche de la COP 29 à Bakou.
Par Thomas Lefèvre
Clément Sénéchal : « Les gilets jaunes ont été le meilleur mouvement écolo de l’histoire récente »
Entretien 6 novembre 2024 libéré

Clément Sénéchal : « Les gilets jaunes ont été le meilleur mouvement écolo de l’histoire récente »

L’ancien chargé de campagne chez Greenpeace décrypte comment la complicité des ONG environnementalistes avec le système capitaliste a entretenu une écologie de l’apparence, déconnectée des réalités sociales. Pour lui, seule une écologie révolutionnaire pourrait renverser ce système. 
Par Vanina Delmas