À contre-courant / L’importance du sommet de Cancún
dans l’hebdo N° 1130 Acheter ce numéro
Le sommet sur le changement climatique de Cancún, après « l’échec » de celui de Copenhague et sa théâtralisation politique et médiatique sans précédent, apparaît comme un non-événement, un épisode banal privé de la dramatisation nécessaire pour faire événement. Pourtant, la dégradation climatique se poursuit. Les émissions de gaz à effet de serre augmenteront à nouveau de 3 % en 2010 ; les financements prévus ne sont toujours pas opérationnels, et l’avenir du protocole de Kyoto, dont la première phase prend fin en 2012, est suspendu. Le passage à des économies « bas carbone » et postpétrole, fondées sur les énergies renouvelables, est retardé, alors que l’Agence internationale de l’énergie publie une étude montrant que le pic pétrolier à partir duquel la production décroît a été atteint en 2006 pour le pétrole conventionnel. Il reste bien sûr des gisements non conventionnels et du gaz liquide, mais les dégâts écologiques et les coûts d’extraction sont tels que l’augmentation du prix de l’énergie pourrait précipiter une très grave crise mondiale.
Copenhague n’est pas l’échec d’une négociation dont il faudrait changer les termes et les modalités : c’est l’échec d’un monde qui découvre l’ampleur des conséquences de la crise écologique, qui a laissé grandir des inégalités inimaginables, a promu la prédation illimitée des ressources et cherche encore des solutions visant la poursuite du modèle en le verdissant ; cet « échec » témoigne du contenu politique de négociations jusqu’ici trop souvent conçues comme rapports d’experts et de lobbies. Le sommet de Cancún, moins « people » que celui de Copenhague, revêt pourtant une importance considérable : c’est la reconnaissance d’une « responsabilité commune mais différenciée » qui s’y joue, alors que la crise globale exacerbe la concurrence, favorise le retour à des stratégies nationales pendant que les directoires autoproclamés du G8 ou du G20 marginalisent les négociations onusiennes.
Les divergences tendent à se cristalliser sur le financement de la lutte contre le changement climatique. Le montant décidé à Copenhague, à savoir des financements de 10 milliards par an à partir de 2010 pour arriver à l’objectif de 100 milliards de dollars par an en 2020, correspond à un compromis politique a minima, loin des calculs effectués dans le cadre des Nations unies ou de ceux donnés par le rapport Stern, qui se situent entre 500 et 750 milliards de dollars annuels. Ces financements sont théoriquement additionnels : un rapport du Word Ressource Institute souligne pourtant le manque de transparence concernant leur origine, qui pourrait bien, notamment pour la France, venir de l’aide publique au développement, déjà bien maigre. Le rapport du groupe de haut niveau chargé d’identifier des sources de financement novatrices en matière de politique climatique préconise prioritairement le recours au marché du carbone, dont l’inefficacité écologique et la soumission aux dérives de la finance carbone sont attestées par plusieurs études (2) et par des fraudes qui défrayent régulièrement la chronique. La possibilité d’une taxe sur les transactions financières est certes examinée dans ce rapport, et sa faisabilité technique soulignée, mais son montant potentiel a été sous-estimé, et elle est minorée du fait d’un manque « d’acceptabilité politique » !
L’Union européenne, à force d’alignement sur les États-Unis, a perdu la main sur les négociations climatiques. Elle qui traîne à honorer ses engagements financiers de Copenhague, et dont les sociétés subissent de plein fouet les effets de la spéculation financière, devrait être pionnière en la matière ; elle peut s’appuyer sur les études qui montrent la faisabilité d’une telle taxe au niveau européen d’abord et son acceptabilité populaire. Elle réduirait ainsi la spéculation et permettrait d’assurer les centaines de milliards de dollars nécessaires à la lutte contre le dérèglement climatique et ses effets.