C’est Dallas sur toutes les chaînes
Avec « Télé, un monde sans pitié », Rémy Pernelet signe un livre
sur les coulisses du petit écran. Entre management musclé et rivalités saignantes.
dans l’hebdo N° 1129 Acheter ce numéro
Un livre de plus sur la télévision qui enfonce le clou. Mais celui-ci a l’avantage d’être écrit de l’intérieur. Sans tomber dans le règlement de comptes d’une star du petit écran qui balancerait sa vérité après avoir été virée (façon Morandini). Télé, un monde sans pitié est signé par Rémy Pernelet, rédacteur en chef de Télé 2 semaines , l’un de ces magazines qualifiés « de grand public », ce qui, ajoute le journaliste, « dans l’esprit de certains patrons de chaînes, veut dire à la botte » . Et, en effet, pour Frédéric Ivernel, directeur de la communication de TF 1, « un magazine de télé et une chaîne comme TF 1 sont partenaires » .
Quant à ceux qui ne le sont pas, leur sort est plus compliqué. Il n’empêche, la position de Rémy Pernelet est idéalement placée pour juger de ce petit monde de paillettes, de cynisme et de langue de bois. Idéalement placée pour observer les arcanes de la télé, toutes chaînes confondues, combien toutes « consacrent leur temps et leur énergie à… mentir. Mentir sur ce qui se passe chez elles, les petits événements, les grands changements, les nouvelles émissions, l’état d’âme des animateurs et des producteurs, l’argent, les résultats, voire l’audience des programmes » . Cela s’appelle « la com’ ». Rien d’étonnant dans un monde d’image où l’on communique en permanence.
Un monde d’image qui ne rigole guère. Rémy Pernelet souligne ainsi la bataille qu’a représentée la TNT (à coups de filiales), s’agissant d’occuper le terrain, les stratégies des chaînes pour les droits de retransmission du foot, la soumission à la grande distribution, aux grands groupes, tous annonceurs qui ne supportent pas le moindre début de critique dans n’importe quel magazine d’enquête (Afflelou en est un exemple) ; faute de quoi, ce sont les budgets pub nourrissant les chaînes qui sautent.
Si l’argent est au cœur du système, Pernelet rapporte l’état d’esprit de toutes les chaînes avec force détails et anecdotes. À commencer par M6, dirigée par Nicolas de Tavernost, boss atrabilaire (qui aurait pu prendre les rênes de Canal ou de TF 1), faisant régner la crainte à tous les étages, « auprès de tous ses salariés, cadres ou pas » , orchestrant un stress permanent, ne s’embarrassant pas de fioritures pour avoiner même un(e) journaliste vedette. Tel a été notamment le cas de Mélissa Theuriau, le lendemain de son interview musclée de Brice Hortefeux (le 30 août 2009), insistant sur les « bavures de policiers, la formation, le Flash-Ball, le Taser et autres sujets qui fâchent » .
Côté TF 1, c’est l’esprit DRH qui fait loi, de séminaires en « réunions de motivation » , une « DRH attitude de Nonce Paolini qui ressemble à la communication de Raymond Domenech : “Tout va bien, je vous dis, et arrêtez de me dire le contraire ou je vous en colle une.” » Là-dedans, Rémy Pernelet détaille les cinq valeurs de la chaîne : « la proximité, la solidarité, le dépassement de soi et des apparences, la bonne humeur et l’émotion » . À titre d’exemple, le dépassement de soi et des apparences, ça donne à l’écran « Koh-Lanta ». Le service public n’est pas non plus épargné dans ce « monde sans pitié » , décrit comme « une administration soviétique » secouée de « guerres d’appareil » , miné par les coups de fil élyséens.
Conclusion dans ce tableau d’ambiances, de méthodes, de fins et de moyens, d’ambitions et d’ambitieux : en matière de télé, « la haine est quand même ce qui se partage le mieux. Avec une particularité : le plus souvent, elle est à géométrie variable, les adversaires d’hier se retrouvant fréquemment partenaires le lendemain » . Mais peu importe. Il faut en être. Ne serait-ce que parce qu’on y gagne beaucoup d’argent (et quatre fois plus dans le privé que dans le public) et que les ego y trouvent leur compte, d’un mercato à l’autre, d’un jeu de chaises musicales à l’autre.
Mais il y a pire milieu, ponctue Pernelet, selon le point de vue de Vincent Labrune, ancien responsable de la com’ à France Télé, directeur de la com’ de Réservoir Prod (la société de Jean-Luc Delarue, surnommée « Réservoir Drog »), puis conseiller à TF 1, aujourd’hui à la tête du conseil de surveillance de l’Olympique de Marseille : c’est le foot. « C’est la télé puissance dix » , où il y a infiniment plus d’argent, avec « un nombre d’intermédiaires incroyable » . Pas étonnant alors que l’on retrouve beaucoup d’anciens ou encore directeurs de chaîne à la tête des clubs de foot (PSG, Marseille, Rennes, Bordeaux).
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