« Des avancées réelles mais insuffisantes »
Le projet de loi sur la garde à vue passe en commission des Lois le 15 décembre. Secrétaire général du syndicat de la magistrature, Matthieu Bonduelle explique les enjeux de cette réforme.
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Politis : Qu’est-ce qu’une garde à vue (GAV) ?
Matthieu Bonduelle : C’est une mesure de privation de liberté prise par les policiers et gendarmes. Ceux-ci doivent en informer l’autorité judiciaire, procureur (97 % des cas) ou juge d’instruction. Elle concerne tous les crimes et délits, à l’exclusion des contraventions (les infractions les moins graves). Cet outil permet, dans le cadre d’une enquête, d’interroger la personne et de se livrer à des investigations pendant sa GAV. Régimes dérogatoires mis à part (criminalité organisée), la durée prévue est de 24 heures renouvelables, la durée moyenne de 8 heures. Pendant ce temps, la personne est entendue ou placée dans une cellule, après avoir été fouillée. Les fouilles intégrales ont beaucoup augmenté, et peuvent se répéter lors d’une même GAV. Ce qui est indigne et illégal.
Pourquoi le nombre de gardes à vue a-t-il explosé ?
Cette mesure devrait être exceptionnelle. Elle s’est banalisée : + 80 % depuis 2002. En cause : la politique du chiffre. Depuis que Nicolas Sarkozy est arrivé à l’Intérieur en 2002, la GAV est un indicateur de performance du travail policier. Plus un commissariat multiplie les GAV, plus il aura de crédits et plus les commissaires obtiendront des primes personnelles. Tous les policiers ne s’en satisfont pas : le syndicat majoritaire chez les gardiens de la paix, SGP-FO, a fait toute sa campagne, lors des dernières élections professionnelles, contre la politique du chiffre.
La réforme entend diviser le nombre de GAV par deux. Est-ce l’enjeu réel ?
Si c’était l’enjeu réel, on aurait actionné les vrais leviers. Le premier ne relève pas du droit mais de l’administration : remettre en cause la politique du chiffre. Mais il n’en est jamais question. Au niveau de la procédure : on pourrait demander un contrôle judiciaire sur le placement en GAV. S’il n’y a pas de contrepoids judiciaire, les policiers, sous pression, vont continuer à placer à tour de bras. Il faudrait des autorisations préalables mais aussi instaurer des comptes rendus obligatoires pour pouvoir lever les GAV inutiles. Rien de ce genre n’est prévu dans la réforme. Il faudrait aussi instaurer des seuils de peine. L’enjeu réel de ce texte est uniquement de se conformer à minima aux exigences de la Convention européenne des droits de l’homme, du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation. Le gouvernement n’a pas le choix, il est contraint de réformer, mais il essaie d’en faire le moins possible en espérant que ça passe. Certains éléments du texte sont encore en contradiction avec les exigences de la Convention.
Cette réforme impose un nouveau principe : l’audition libre. En quoi consiste-t-elle ?
C’est un symptôme de la volonté qui prime dans ce texte. La personne n’est pas convoquée mais interpellée et emmenée au commissariat où on lui dit : soit vous êtes placé en GAV pendant 48 heures, soit vous renoncez à vos droits (présence d’un avocat, notamment) pour être entendu en audition libre, avec la possibilité théorique de partir. La personne sera-t-elle menottée ? Dans quelle limite de temps ? Il s’agit là d’une sorte de GAV light . L’intérêt est évident : les gens en audition libre ne seront plus comptés comme GAV. C’est un artifice sans garantie en termes de droits.
Un avocat tout au long de la GAV, est-ce réalisable ?
C’est vraiment une avancée : pour l’heure, l’avocat vient voir la personne en GAV pendant une demi-heure et repart. Dans le nouveau texte, les auditions se feront en sa présence, ce qui change beaucoup de choses. Problèmes : le procureur pourra décider que l’avocat ne vient pas pendant 12 heures, celui-ci n’aura pas le droit d’intervenir pendant l’audition, et n’aura pas accès aux dossiers. Enfin, il faut doubler l’aide juridictionnelle. Si on met plus d’avocats en GAV sans augmenter cette aide, on risque d’accroître les inégalités entre ceux qui auront les moyens de payer un avocat et les autres.
Pourquoi le texte n’aborde-t-il pas la question du régime dérogatoire ?
Pour des raisons politiques. Le régime dérogatoire prévoit des GAV spéciales : 6 jours pour terrorisme, 4 jours pour criminalité organisée et stupéfiants… Cette durée devant servir à « faire craquer » les interpellés. Le gouvernement ne veut pas y renoncer malgré les arrêts rendus le 19 octobre par la Cour de cassation. Le texte va devoir évoluer sur ce point.
Qu’attendez-vous du passage du texte en commission des Lois ?
Cette réforme est une occasion historique de faire évoluer la procédure. Les parlementaires et sénateurs de gauche mais aussi de droite sont moins frileux que le gouvernement. Et peut-être moins sujets aux pressions des syndicats policiers Synergie et Alliance, qui restent dans une position idéologique : défiance de principe à l’égard des avocats et culture de l’aveu. Il y a un consensus très clair entre avocats et magistrats, et un hiatus entre police et justice. Notre système est archaïque. En Espagne et dans les pays anglo-saxons, l’avocat est présent dès la première seconde, cela ne gêne pas les enquêtes. Cette réforme va dans le sens de l’histoire.