« Il est urgent d’agir ! »
Les élections présidentielle et législatives viennent de se tenir dans un climat houleux. Pour endiguer le choléra, la coordination entre les ONG doit gagner en efficacité, estime Marie-Pierre Allié, de MSF. Tandis que Rony Brauman pointe les effets néfastes de la désorganisation locale.
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Politis : Vous êtes rentrée d’Haïti le 27, veille des élections. Quelle analyse faites-vous de la situation ?
Marie-Pierre Allié : Je m’étais rendue sur place quelques semaines après le séisme, mais cette fois je ne suis restée que quelques jours. Ma visite avait un objectif précis : l’épidémie a commencé il y a plus de six semaines et on avait l’impression, à Médecins sans frontières (MSF), que nous étions seuls à y faire face et que la réponse sur l’île n’était ni coordonnée ni adaptée à l’urgence. Il fallait aller vérifier sur place et rencontrer les différents acteurs, notamment l’ONU, pour leur demander d’accélérer. On a affaire à une épidémie qui évolue et se répand très rapidement. Elle a touché d’abord le centre du pays et s’est étendue vers le nord puis vers Port-au-Prince. MSF a déployé des centres de traitement un peu partout dans le pays mais, d’une part, leur capacité est insuffisante, et il faut développer en urgence de petites unités plus proches de la population ; d’autre part, vu la situation sanitaire désastreuse d’une bonne part de la population, il faut aussi agir sur la distribution d’eau qui ne doit pas être contaminée. Enfin, on note un énorme retard dans la mise en place d’un système de surveillance épidémiologique : combien de cas ? Comment évolue l’épidémie ?
À qui imputer ce retard ?
Il n’y avait pas eu de choléra dans l’île depuis plus de cent ans. Les autorités sanitaires n’étaient pas préparées. Pour la surveillance épidémiologique, le ministère de la Santé haïtien est épaulé par l’Organisation mondiale de la santé, qui ne s’est pas montrée à la hauteur.
Comment se présente l’aide humanitaire sur place ?
Le déploiement humanitaire à Haïti est très important en général, il s’est encore accentué avec le tremblement de terre. Les organisations ont afflué pour secourir les rescapés mais, au bout de quelques semaines, on voyait déjà des hôpitaux de campagne plier bagage… La coordination est très insuffisante et laborieuse alors qu’il est urgent d’agir ! Sur le plan médical, MSF est quasiment la seule ONG présente à pouvoir déployer une réponse dans tout le pays. Nous intervenons en priorité auprès des malades mais aussi, dans quelques endroits, au niveau de la distribution d’eau chlorée et de la formation des personnels de santé et des bénévoles haïtiens. On a appris récemment que des coopérants cubains avaient également réagi à l’épidémie dans leur réseau de centres de santé. Combien de malades ont-ils accueillis ? C’est toujours le problème de la coordination et de la surveillance épidémiologique : jusqu’à la semaine dernière, les cas de choléra déclarés par le ministère provenaient uniquement des statistiques de MSF. Nous avons plus de 300 personnes sur place, 27 centres, 2 500 lits d’hospitalisation, c’est un dispositif de grande ampleur. Nous continuons à recruter des volontaires car les équipes, mobilisées en permanence, s’épuisent. C’est une course contre la montre…
L’épidémie vous semble-t-elle contenue ?
Je ne peux m’appuyer que sur ce que MSF observe : une diminution de cas dans la région centrale, l’Artibonite, d’où est partie l’épidémie. Elle semble se stabiliser au nord, mais c’est une information à prendre avec prudence. À Port-au-Prince, plusieurs quartiers ont été très touchés, notamment Carrefour et Cité-Soleil, deux bidonvilles. On peut s’attendre à une circulation de l’épidémie dans les quartiers défavorisés. Mais on pense que les dispositifs en place permettront de prendre en charge les habitants des autres quartiers s’ils sont touchés. Le choléra est une maladie très virulente pour les très pauvres. Quelques cas de choléra détectés à Paris ne déboucheraient probablement pas sur une épidémie. Mais dans un pays où les systèmes d’approvisionnement et de traitement de l’eau ainsi que d’évacuation des eaux usées font défaut, toutes les conditions sont réunies pour la faire exploser. On voit déjà des cas en République dominicaine mais, si les mesures de contrôle sont en place, ils ne provoqueront pas forcément une épidémie d’une telle ampleur. Idem dans les autres îles, jusqu’aux États-Unis. Quelle que soit la cause d’une épidémie, c’est dans une situation sanitaire déficiente qu’elle explose.
Sur la cause de l’épidémie, que pensez-vous des accusations qui pèsent sur des soldats de l’ONU ?
Il y a effectivement une mise en cause d’un contingent népalais de la Mission de stabilisation en Haïti (Minustah), accusé d’avoir apporté cette maladie, qui sévit actuellement au Népal. C’est une hypothèse plausible, qui nécessite d’être examinée : les Haïtiens ont besoin que la lumière soit faite, dans la transparence. On aura cependant moins de mal à établir des données épidémiologiques qu’à tracer la souche de la maladie. Mais, encore une fois, quelle que soit son origine, l’énorme contagion est due aux conditions locales !
Que penser d’une récupération politique de la « contamination » ?
L’épidémie aurait pu démarrer n’importe où, apportée par n’importe quel touriste ! Entre la reconstruction post-tremblement de terre et l’élection présidentielle, Haïti vit une situation particulièrement tendue. Tout est susceptible d’être utilisé pour créer des troubles, notamment les réactions de rejet vis-à-vis de la présence étrangère. Par ailleurs, le choléra fait paniquer. La violence exprimée à l’égard de l’ONU, MSF en a également été victime : notre premier centre a fait l’objet d’attaques lors de son installation, les habitants n’en voulaient pas. Il y a eu des manifestations d’agressivité, mais c’était au début. À présent, les équipes de MSF sont plutôt encouragées dans leur travail, il y a une reconnaissance de l’efficacité du traitement.
Le système de santé a-t-il été anéanti par le séisme du 12 janvier, qui a fait 300 000 morts et a privé de foyer 1,5 million d’Haïtiens ?
La situation sanitaire était déficiente, le tremblement de terre l’a fait empirer. Il faut se méfier des liens entre le séisme et le choléra : les zones frappées ne correspondent pas forcément. Ce qui est vrai, c’est que les personnes sinistrées sont toujours dans des situations extrêmement précaires. Plus d’un million de personnes vivent dans des camps, sous des tentes, dans des conditions déplorables. Certes, il y a beaucoup de déblaiement, mais très peu de reconstruction, et les systèmes de traitement des eaux usées ou d’approvisionnement en eau de qualité sont toujours insuffisants. On ne va pas tout reconstruire du jour au lendemain. Ce qui fait que ces populations sont particulièrement exposées.
L’aide économique internationale parvient-elle à temps à Haïti ?
Elle met du temps à arriver, mais, en même temps, aucun véritable plan de reconstruction n’a été mis sur la table à Haïti. Parmi les candidats à la présidentielle, un discours s’est répandu : « En finir avec Haïti sous perfusion internationale ; il faut que le pays se prenne en main ! » Pour ce faire, l’annulation de la dette serait évidemment une bonne chose, mais surtout on espère le retour d’un leadership national qui puisse définir des priorités. Quand j’ai visité le ministère de la Santé, déjà après le séisme, j’ai été effarée par sa pauvreté, y compris son manque de moyens matériels de fonctionnement.
Dans ce contexte, certains ont réclamé le report du scrutin du 28. Cela aurait-il été opportun ?
On a senti une forte attente des Haïtiens de pouvoir aller voter, et un besoin de passer à l’étape suivante. Je ne suis pas certaine que reporter le scrutin eût été une bonne idée. Concrètement, les gens pouvaient se déplacer pour se rendre aux urnes s’ils le souhaitaient. Le risque de propagation du choléra ne représentait pas un obstacle.
Quelle est l’urgence, selon vous ?
À propos de l’épidémie de choléra, j’espère que le message a été entendu, au moins par les Nations unies et un certain nombre d’organisations sur place. J’attends maintenant que la situation se concrétise et que les actes correspondent aux discours.
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