La préparation des esprits
dans l’hebdo N° 1130 Acheter ce numéro
Je suis éditocrate. J’ai dans la société une fonction déterminée : je suis le gars qui te dit quel bulletin mettre dans l’urne quand vient le moment d’élire un(e) chef(fe) pour l’État français – je suis même payé, pour ça.
(Je tairai le montant de mon émolument : j’ai promis d’être moins obscène.)
Qui me paye ? Des gens dont l’âpreté au gain n’a aucune limite
– aucune –, et dont l’unique préoccupation, dans la vie, est de faire du pognon. Mon boulot, dès lors, est de les assurer que tu voteras pour des candidats(e)s qui les aideront, sitôt qu’élu(e)s, à se lisser le chiffre d’affaires – et là, très sincèrement : j’excelle.
En 2007, rappelle-toi : je t’ai – chaudement – recommandé Sarkozy.
Je t’ai d’abord saturé(e) de sondages prédisant que Sarkozy gagnerait la présidentielle – puis j’ai pondu quelques milliers de sentis éditoriaux, d’où ressortait que ça serait quand même très con de pas voter pour ce gars dont les sondages montraient si fort qu’il fallait voter pour lui – hein, Raymond ?
Puis enfin j’ai feulé de ma petite voix de fausset [^2] : « Sarkozy est petit, mais c’est mon ami. Sarkozy n’est pas grand, mais il est vaillant. »
Moyennant quoi, gentiment : t’as voté pour lui. (Merci, Raymond.) Crois-m’en : ce fut soir de fête, pour mes employeurs.
Assez vite, néanmoins, on a déchanté. Le mec avait bon fond – rien à dire – mais la forme n’allait pas : trop directe. Voire : trop brutale. Ponctionner la plèbe, très bien, mais faut que ça reste un peu discret : le riche n’aime pas quand son nantissement devient trop voyant.
Pour la prochaine fois, Laurent, m’ont fait savoir mes employeurs, ça serait bien qu’on trouve un candidat qui ait au fond les mêmes valeurs que Sarkozy – la même furieuse envie d’un monde privatisable –, mais qui mettrait de l’onctuosité dans le démantèlement des services publics, et qui ne vire les sans-papiers qu’avec parcimonie
– par douzaines plutôt que par centaines. Un humaniste, quoi.
Ce qu’il vous faut, j’ai dit, c’est un socialiste.
Exactement, ils ont répondu : un socialiste.
Genre : un gars dont le nom ferait pâmer le patronat, mais dont l’épouse dirait sans rigoler qu’il est si follement de gauche qu’elle a envie de l’appeler Karl.
Putain, mais oui, Laurent, oui : c’est tout à fait ça qu’on cherche !
Bougez pas, j’ai promis : j’ai sous la main ce qu’il vous faut.
Puis je suis retourné au journal pour y tapoter mon éditorial du lendemain.
Il commençait comme ça : « Vu que les sondages montrent si fort que tu dois voter pour DSK, serait-ce pas con, Raymond, de pas voter pour DSK ? »
[^2]: Ou de ma petite voix de faussaire ?
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.