L’art de collaborer

Yves Riou et Philippe Pouchain montrent comment certains artistes se sont accommodés de l’Occupation.

Jean-Claude Renard  • 16 décembre 2010 abonné·es

Les acteurs jouent, les chanteurs chantent et les stripteaseuses se déshabillent. Allégrement. Jouissance, futilité, ambition, lâcheté. Des mots qui collent aux artistes de 1940 à 1944, plongés dans une marmite fumante. Et ça se bouscule aux portillons. Dans l’hiver 1940, si Fernandel et Joséphine Baker animent les bunkers de la ligne Maginot pour distraire les soldats français, ils sont nombreux à remettre le couvert un peu plus tard, à l’arrivée des Allemands à Paris. Des Allemands qui se filment avec leur nouvelle pellicule Agfa­color, tandis que les reporters français ­filment en noir et blanc une foule hébétée de Parisiens devant les troupes nazies. Dans cet « âge d’or », Fernandel casse graine régulièrement au Cercle allemand, tout simplement « parce que c’est bon » .

Pour Sacha Guitry, qui cherche à ouvrir coûte que coûte son théâtre, « tant qu’on ne peut les mettre dehors, tâchons de les mettre dedans » . Et de boire un dom pérignon chez Maxim’s en compagnie d’officiers allemands. La société de production française Continentale est créée, financée par des capitaux allemands, vivier de films de propagande et de débilités nourrissant de pleines bordées de comédiens. En 1941, Trenet et Piaf font leur rentrée. Tino Rossi, ouvertement fasciste, séduit les foules en général et l’actrice Mireille Balin en particulier. Maurice Chevalier vient chanter à Radio Paris (comme Fernandel). À l’Opéra, Serge Lifar se démène devant un parterre d’occupants. Vertige de la collaboration horizontale. Même ­Jouvet promeut la culture française sous l’étiquette vichyste. Quand on n’est pas maréchaliste, on est attentiste. Ils ne sont pas nombreux, par provocation, à porter l’étoile jaune comme Michel Simon.

Si les artistes ont cachetonné, cinémas et cabarets sont combles. Pas de mal à ça, qu’on dit alors. D’anecdotes en cas particuliers, Yves Riou et Philippe Pouchain relatent ainsi la réalité d’une collaboration exaltée, et parfois complexe, puisant dans les actualités, les fonds particuliers allemands. Où l’on apprend l’enterrement discret d’Harry Baur, après qu’il eut été torturé par la Gestapo, tandis qu’Arletty fait libérer Tristan Bernard. Ça n’empêche pas de coucher. Tino Rossi, quant à lui, recevra la légion d’honneur en 1953.

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