« L’écologie politique ne doit pas être dogmatique »
La secrétaire nationale d’Europe Écologie-Les Verts analyse la nature de son projet politique. Elle évoque les relations de son mouvement avec le Front de gauche et le PS. Elle dresse un bilan du sommet de Cancún, qui est parvenu in extremis à un accord.
dans l’hebdo N° 1131 Acheter ce numéro
Politis : Au lendemain de votre conseil fédéral, et après la lettre de démission de Jean-Paul Besset, où en êtes-vous dans ce processus de fusion Europe Écologie-Les Verts ?
Cécile Duflot : Si on avait juste organisé la coexistence, il n’y aurait pas eu de problème, mais comme nous avons voulu réaliser une fusion en profondeur, ça ne se fait pas sans difficultés. Face à cela, il y a deux manières de réagir. Celle de Jean-Paul Besset, qui trouve ça usant, et la mienne, qui est de dire « il faut qu’on y arrive quand même ». La façon dont s’est passé notre premier conseil fédéral, ce week-end, me rend plutôt optimiste. Il y avait là 120 ex-Verts, et 120 autres qui avaient été tirés au sort dans leurs régions respectives. Le conseil fédéral était au travail, et dans un bon climat.
Comment analysez-vous politiquement cette fusion ?
Nous faisons le pari de réussir à créer une articulation entre un parti classique et une forme réseau qui permet aux gens qui n’ont pas envie de franchir le pas de l’adhésion à un parti traditionnel de participer à la construction d’un projet politique. Personne ne peut dire comment cela va évoluer. Ce que je sais, c’est qu’en moins d’un mois on a eu mille nouveaux adhérents au parti et plus de trois cents nouveaux coopérateurs. On est donc bien dans quelque chose qui fonctionne. L’idée, c’est de rendre perméables la société civile et la forme « parti politique ». Il existait jusqu’ici une véritable frontière entre l’engagement politique et l’engagement citoyen. Les jeunes ont tiré le bilan du XXe siècle. Ils ne veulent plus des idéologies dures. Que ce soit le communisme ou l’ultralibéralisme issu de l’école de Chicago. La force de l’écologie politique, c’est de ne pas être dogmatique. C’est de savoir gérer la complexité, en plus d’avoir intégré la compréhension des limites de la planète, et les nécessités de partage des richesses et de sobriété.
Nous réfléchissons sur les formes de l’engagement. Dans le rapport à la politique, ce n’est pas la même chose d’avoir 30 ans en 1970 et aujourd’hui.
Il s’agirait donc, selon vous, davantage d’un amalgame entre deux formes d’organisation que de l’affrontement de deux identités politiques…
L’idée qu’il y aurait deux lignes politiques différentes ne se vérifie pas dans les faits. C’est un fantasme de croire qu’il y aurait les centristes versus le rassemblement avec la gauche.
Et pourtant, dès que Cohn-Bendit prend la parole, on a le sentiment d’un appel à rallier les centristes plutôt que la gauche… Est-ce le tropisme européen ?
Ce qui m’intéresse, c’est : qu’est-ce qu’on fait et avec qui. Comment on réussit la transition énergétique ? Comment on sort l’eau de la gestion privée ? Que dit-on sur l’éducation et sur la culture ? C’est ainsi que je vois les choses. S’agissant du MoDem, son évolution au cours des dernières années est un peu difficile à suivre. Quant à nous, nous nous inscrivons dans la continuité des valeurs de la gauche. Mais il est vrai que la culture française est binaire, ce qui n’est pas le cas dans beaucoup d’autres pays européens. En France, on procède par exclusion a priori. Nous ne raisonnons pas autrement quand notre manifeste exclut a priori toute alliance avec la droite. Notre manifeste a été adopté par 97 % des voix. C’est donc notre patrimoine commun. Et il est très clair sur toutes ces questions-là, y compris sur les alliances. Gardez-vous de classer Cohnt-Bendit dans la boîte centriste et Cécile Duflot dans la boîte de gauche. Ce serait caricatural.
Il y a eu aussi quelques déclarations très violentes contre le Front de gauche. Certains vous ont reproché de vous être affichée sur les mêmes estrades que Jean-Luc Mélenchon dans la bataille des retraites. Le referiez-vous ?
Moi, je n’ai aucun problème à dire ce qui nous rassemble, ni à souligner nos différences. On peut avoir des mobilisations unitaires très larges sur certaines thématiques. J’ai toujours dit que l’on pouvait sur la question des retraites, par exemple, avoir avec le Front de gauche des divergences sur un projet alternatif, mais que l’on était d’accord pour combattre ensemble le projet gouvernemental.
Cohn-Bendit a tout de même eu des mots très durs sur le « populisme » de Mélenchon. Lequel ne s’est pas privé de répondre sur le même ton. Vous ne craignez pas que cette violence creuse des antagonismes définitifs ?
Ce sont deux grandes gueules. Ils se répondent et ils aiment ça ! Cela dit, il y a sans doute des divergences réelles, y compris avec moi. Je pense, par exemple, que la conception nationale a ses limites dans le monde qui vient. Mais cela ne nécessite pas que l’on échange des noms d’oiseaux. N’oublions pas que nous avons devant nous une échéance, qui est 2012, et pour laquelle il faut faire en sorte que ce ne soit pas Nicolas Sarkozy qui l’emporte. Nous devons donc « séquencer » les engueulades. On peut avoir des débats sur le fond sans hypothéquer les autres échéances.
Justement, parlons-en, de 2012 ! Daniel Cohn-Bendit – encore lui – a porté un jugement très positif sur Dominique Strauss-Kahn. Avez-vous la même opinion sur l’hypothèse d’une candidature DSK ?
Nous sommes à un moment où il faut à la fois lutter contre les images toutes faites et être conscients des réalités. Autant je ne dis pas « Strauss-Kahn égale FMI », autant je ne nie pas l’ambivalence de son positionnement. Mais ce qui m’intéresse, c’est quel projet portera le candidat du Parti socialiste. Avec qui sera-t-il prêt à constituer une majorité ? Ce qui m’intéresse, c’est gouverner, et pourquoi gouverner. Si l’on en reste à un jugement sur les individus, on entre dans le jeu de la présidentialisation que, personnellement, je récuse, en tant qu’écologiste. Je l’ai d’ailleurs récusé dans les actes, en annonçant que je ne serai pas candidate. Moi, j’attends patiemment de savoir qui sera le candidat du PS et quel sera son discours. Pourquoi faudrait-il en permanence commenter les moindres soubresauts des candidats à la candidature ? Ce n’est pas comme ça que l’on fait de la politique. Si je juge, le moment venu, que le projet d’un candidat socialiste est incompatible avec le projet écologiste, je vous le dirai avec une grande franchise.
Un mot sur le sommet de Cancún.
À Cancún, on n’a pas sauvé le climat mais on a sauvé les négociations. On les a remises sur les rails. Quand je vois que la Chine se dit prête à accepter un « effort contraignant », je me dis que ce n’est pas rien. Certes, à l’échelle des enjeux climatiques, ce qui s’est passé à Cancún est très insuffisant. Mais, après l’échec de Copenhague, on pouvait craindre bien pire !
Après la petite phrase de Marine Le Pen qui compare les musulmans qui font la prière dans les lieux publics à l’Occupation, que pensez-vous de la réaction du patron de l’UMP, Jean-François Copé, qui en déduit qu’il faut relancer le débat sur l’identité nationale ?
Je n’oublie pas que nous avons un ministre de l’Intérieur mis en examen pour injure raciale. La responsabilité du débat sur l’identité nationale aura été d’affaiblir les digues contre le racisme. Aujourd’hui, ça me fait penser au médecin de Molière : la première saignée a échoué, et on nous dit qu’il faut une autre saignée.