Murés dans le silence

Jean-Claude Renard  • 23 décembre 2010 abonné·es

L’Assemblée nationale a planché sur la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite Loppsi 2, visant à « aller plus loin dans la lutte contre la délinquance » , selon Brice Hortefeux. À lire comme un durcissement et un tour d’écrou supplémentaire. Au programme, l’instauration de peines plancher (jusqu’à deux ans) pour les violences aggravées passibles de trois à dix ans de prison, un retour en arrière sur le dispositif des aménagements de peine automatiques, une reconduite à la frontière pour les étrangers après un passage en prison (une double peine donc), la possibilité, suivant les circonstances, pour un procureur de poursuivre un mineur devant le tribunal pour enfants sans passer par le juge pour enfants.
C’est dans ce contexte tendu que l’Observatoire international des prisons (OIP) a tenu le 11 décembre, à la faculté de Lyon-II, un colloque sur le thème de « la libération de la parole détenue par les murs des prisons » , dénonçant précisément les nouveaux établissements conçus comme un outil de plus « au service d’une administration qui a toujours cherché à étouffer la parole » . Du côté des prisonniers comme du personnel. Silence dans les rangs.

Emmené par la présidente de l’OIP, Florence Aubenas, le colloque a rassemblé d’anciens prisonniers, des proches de détenus, des employés de l’administration pénitentiaire (dont le directeur de la maison d’arrêt de Corbas). L’enjeu : briser la chape de plomb pour éviter les risques d’implosion. Le choix d’un débat public à Lyon ne relève pas du hasard. Le passage des vieilles prisons insalubres de Saint-Paul, Saint-Joseph et Montluc à celle de Corbas, flambant neuve, dans la banlieue rhodanienne, avait été l’objet de plusieurs dénonciations. Neuve, la prison, certes, mais d’une modernité froide et déshumanisée. Dans l’isolement total, et dans laquelle personne n’entend personne. Là où pourtant la parole, matière première de la réinsertion, ne demande qu’à être libérée. C’est aussi valable pour toutes les autres nouvelles prisons. On enferme les gens avec leur verbe.

Détenu, libéré après 25 mois de préventive, Alain Cangina était à l’origine de ce colloque. Il a aussi été l’un des prisonniers à s’élever le plus vivement contre les conditions d’incarcération à Corbas, préférant les rats et les cafards des vieilles geôles. Réinséré parfaitement, entamant une carrière de conteur (collaborant également depuis peu à la page « Digression » de Politis ). Alain Cangina n’était pas présent au colloque : il était retenu à son procès. Il a écopé de six ans ferme (pour tentative d’homicide, ayant voulu entraîner sa fille dans sa tentative de suicide), retournant aussi sec derrière les barreaux.
Dure avec les faibles, faible avec les puissants : dans cet esprit, la justice a la main lourde.

Société
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