Punition collective pour le photovoltaïque
En raison de l’inflation des projets, le gouvernement vient de geler pour trois mois toute nouvelle installation industrielle de production d’électricité solaire. Abasourdie, la filière exprime son inquiétude et sa colère.
dans l’hebdo N° 1132-1133 Acheter ce numéro
C’est le syndrome de l’enseignant débordé : trois malins trichent, et tous les élèves se retrouvent collés. Le 10 décembre, par décret, le prof Fillon a mis au régime sec toute la classe photovoltaïque parce que certains opérateurs ont exploité sans vergogne les aides à l’électricité solaire : pendant trois mois, aucune demande de raccordement au réseau ne sera admise pour les installations photovoltaïques de plus de 3 kilowatts de puissance [^2].
Le gouvernement allègue une grosse surchauffe de la filière. Après l’avoir laissé végéter pendant des années, il a offert, mi-2006, un tarif d’achat très attractif aux producteurs d’électricité solaire : jusqu’à 0,58 euro par kilowattheure en 2010, ce qui a porté le parc français de panneaux photovoltaïque à quelque 800 mégawatts (MW) fin 2010.
Mais, alors que le Grenelle de l’environnement vise 5 400 MW pour 2020 [^3], la file d’attente totalisait déjà, à l’automne, plus de 4 000 MW de demandes auprès d’ERDF, la filiale d’EDF chargée du raccordement des installations au réseau ! Réjouissant ? Pas pour le Premier ministre, François Fillon, qui y voit l’exploitation abusive d’une niche fiscale. Premier grief : le solaire gonflerait la facture des Français. En effet, ils contribuent, par un petit prélèvement sur leur facture d’électricité (la contribution CSPE), à indemniser EDF [^4] de l’obligation d’acheter l’électricité verte au tarif préférentiel. ERDF avance aussi que le développement du solaire menace l’équilibre du réseau, en raison de l’intermittence de sa source. Enfin, il en coûterait plus de 10 milliards d’euros de raccordement (payé en partie par les demandeurs) au vu de la croissance. Des allégations qui irritent les professionnels. « Notre évaluation est dix fois moindre » , conteste Arnaud Mine, président de la branche photovoltaïque du Syndicat des énergies renouvelables (SER, qui regroupe 500 industriels, énergéticiens, etc.), qui estime en outre qu’il faudrait 100 fois plus de solaire pour justifier des adaptations majeures du réseau français.
Le secteur en convient cependant : c’est bien une « bulle » spéculative qui s’est formée. Mais le volume de projets photovoltaïques a bon dos. Les anomalies abondent, comme ces autorisations très rentables arrachées par des grandes surfaces pour poser des panneaux sur leurs parkings, des demandes pour toitures de hangars agricoles fictifs, des « réservations » par des opérateurs peu scrupuleux pour couvrir des écoles avant même de les solliciter, etc. Et nul besoin de justifier de la faisabilité technique ou financière pour déposer un projet. Si bien qu’à peine 35 % aboutissent, a évalué le SER. « Nous demandons depuis des mois une meilleure gestion de cette poussée du solaire, nous n’avons pas été entendus » , regrette Arnaud Mine.
Comble : le moratoire, qui vise à assainir la situation, menace de tuer des projets exempts de reproches. Le couperet va en effet arbitrairement s’abattre sur tous ceux qui n’ont pas encore versé d’acompte à ERDF – alors que le délai d’envoi des devis de raccordement est à sa discrétion.
Le Premier ministre a endossé l’essentiel d’un rapport très défavorable de l’inspecteur des finances Jean-Michel Charpin, présentant en septembre dernier la croissance de la filière comme « un risque financier majeur », dont les soutiens auraient surtout favorisé l’importation massive de panneaux photovoltaïques bas de gamme chinois, au point de creuser le déficit commercial de la France de 2 % en 2009.
Il est abusif de juger l’état de décollage d’une filière industrielle au bout de trois ans seulement, rétorquent les professionnels. « Et brandir le nationalisme industriel, c’est la tarte à la crème du photovoltaïque !, s’élève Marc Jedliczka, directeur d’Hespul, association spécialisée. Le moratoire va retarder des projets d’écoquartiers, précipiter la fermeture de dizaines de petites entreprises [^5], saper la confiance des investisseurs. » Ça n’a pas tardé : l’États-unien First Solar vient de suspendre la construction de son usine de panneaux photovoltaïques à Blanquefort (Gironde).
Manque d’équité, effet rétroactif du moratoire, décision non concertée, opacité : les professionnels du solaire sont en colère. L’association Enerplan (250 industriels, bureaux d’études, installateurs, architectes, etc. du secteur) a déposé un recours en annulation du décret.
Les spécialistes ne soupçonnent cependant pas l’impensable : une opération de casse du photovoltaïque, après le remaniement ministériel de novembre dernier, qui a relogé l’énergie dans le giron de l’industrie, pronucléaire, après trois ans sous l’autorité du ministre de l’Écologie. « C’est peut-être la reprise en main par les technocrates » , commente Raphaël Claustre, directeur du Comité de liaison des énergies renouvelables (Cler). La méthode de résolution de la crise est à l’avenant : une concertation, pour tout remettre à plat, a été lancée a posteriori , lundi dernier, pour trois mois ; et elle est pilotée par… Jean-Michel Charpin.
[^2]: Ce qui épargne les particuliers.
[^3]: Modeste : l’Allemagne prévoit 10 fois plus
[^4]: Ou une régie locale, pour 5 % des Français.
[^5]: La profession parle de sauver 20 000 emplois.