Quand les maires s’occupent de santé
À Montreuil, en Seine-Saint-Denis, un centre municipal de santé est menacé de fermeture. Et cet exemple n’est pas isolé, alors que ces établissements jouent un rôle social crucial.
dans l’hebdo N° 1132-1133 Acheter ce numéro
Inventés par les municipalités communistes de la banlieue rouge dans le courant des années 1930, les Centres municipaux de santé (CMS) n’ont plus à prouver leur utilité. La crise les rend encore plus indispensables pour les populations précaires, bénéficiaires de l’aide médicale d’État (AME), de la CMU ou salariés sans complémentaires, relégués en marge du système de soins. Mais la crise fragilise aussi les communes qui les financent. Elles sont parfois tentées de leur préférer des dispositifs moins onéreux, ce qui provoque parfois quelques remous.
Ainsi à Montreuil (Seine-Saint-Denis), où le 11 décembre près d’une centaine de personnes se sont rassemblées devant le CMS Voltaire, le plus ancien des cinq centres de la ville, pour refuser sa fermeture. Le centre a été fermé précipitamment au public la veille – des patients qui avaient rendez-vous ont ainsi trouvé porte close –, au grand dam des élus de la minorité municipale et d’une dizaine d’organisations de gauche, du PS au NPA, en passant par le Parti de gauche. La maire, Dominique Voynet (Europe-Écologie-Les Verts), y est accusée de « participer à la casse sans précédent du secteur public de santé » orchestrée par la récente loi Hôpital, patients, santé et territoires de Roselyne Bachelot. Les critiques portent autant sur la forme que sur le fond de la décision de fermeture.
Il y a un an, la municipalité a décidé, sans concertation avec les usagers et les personnels, de fermer « Voltaire », situé dans le Bas-Montreuil, et d’ouvrir un nouveau centre à Bel-Air, un quartier du Haut-Montreuil « moins favorisé en termes d’accès aux soins » . La mairie plaide pour un « rééquilibrage territorial » et assure que, dans le projet de budget 2011, les moyens accordés à la santé augmentent de 12 %. Pour les défenseurs de « Voltaire », le centre, là où il est installé, répond à un vrai besoin. Il traite 3 000 dossiers par an. 500 patients y ont leur médecin référent. Où iront les nombreux résidents d’un foyer de Maliens proche, et tous ceux qui bénéficient de l’AME, souvent éconduits par les cabinets privés, s’interroge Dominique Jasseron, représentante de l’intersyndicale des professionnels soignants des centres de santé. « On n’ouvre pas un centre de santé pluridisciplinaire dans le Haut-Montreuil mais deux cabinets médicaux et une salle de soins » , déplore un médecin. Que deviendront toutes les consultations spécialisées accessibles à « Voltaire » : de la cardiologie à la rhumatologie en passant par la dermatologie ou la phlébologie ? Enfin, l’augmentation du budget santé ne rendrait pas compte des changements de politique opérés – arrêt de la radiologie dans un centre, des prélèvements dans un autre, remplacement d’heures de spécialistes par des infirmières – et qui laisseraient les patients sans service équivalent pratiquant le tiers payant.
Au cabinet du maire, on se défend de supprimer des effectifs, mais on admet ne « pas les affecter aux mêmes missions » pour redéployer « plus de moyens vers la prévention » . Directeur de cabinet du maire, Jacques Archimbaud insiste sur la volonté de faire évoluer un service public vieillissant, qui avait accumulé des retards d’investissement et était en perte de vitesse. Et s’il vante les mérites d’un centre de santé associatif, « dans la tradition mutualiste » , vers lequel la mairie oriente les patients de « Voltaire », il n’est pas loin de voir dans le mouvement de défense des CMS « une défense de la contre-société communiste des années 1970 » portée par des gens qui ne sont plus représentatifs de « la démographie de Montreuil » , qui, elle, « est plus jeune, plus colorée, plus diversifiée » .
L’exemple de Montreuil n’est pas isolé. Une même volonté de rationalisation économique a conduit en 2009 la mairie de Bagneux (PCF) à fermer le laboratoire d’analyses de son CMS, malgré un fort mouvement de protestation. À la suite d’un audit, la Ville de Paris pourrait envisager la fermeture de plusieurs centres pour restructuration. « Je ne connais pas un CMS qui ne soit pas confronté à une réflexion sur sa gestion compte tenu des problèmes budgétaires » , constate Éric May, le président de l’Union syndicale des médecins de centres de santé. La suppression de la taxe professionnelle, les restrictions des dotations de l’État aux communes et la crise économique affectent les budgets des communes. D’où des restrictions qui se traduisent par des fermetures imposées pour les vacances (Bagnolet, PS) ou parfois la cessation d’activité. À Sartrouville (UMP), la mairie a justifié la fermeture de son CMS en centre-ville par l’embourgeoisement de sa population.
Pour Fabien Cohen, secrétaire général du Syndicat national des chirurgiens-dentistes des centres de santé, les nécessités économiques ou les rééquilibrages territoriaux peuvent cacher « des choix politiques » d’une approche libérale : « Pourquoi soutenir des centres de santé qui ont un coût quand on peut laisser faire le secteur libéral, quitte à l’aider ? » À l’inverse, les carences du système libéral peuvent conduire des élus de droite à créer un centre de santé. Éric May cite le cas d’une municipalité UMP de la Sarthe qui y voit la solution la plus adaptée pour faire face à la désertification médicale qui la menace. Dans les années 1930, c’était déjà pour faire face à l’absence de médecins qu’avaient été inventés les CMS en banlieue. Autre argument : les CMS, dont la pertinence était mise en doute il y a une vingtaine d’années, quand on les comparait couramment à de simples « dispensaires », redeviennent tendance quand les études et les rapports les plus récents sur la médecine ambulatoire privilégient l’exercice pluridisciplinaire de la médecine au détriment de l’exercice isolé.
C’est en tout cas le pari de la municipalité communiste de Gennevilliers, qui a décidé de reconstruire en l’agrandissant son CMS créé en 1935. Coût des travaux : 12,5 millions d’euros. Selon Jacques Bourgoin, son maire, près de la moitié des Gennevillois utilisent le CMS. « Pour nous, c’est un choix politique de maintenir et d’agrandir ce centre créé en 1935. » Moins pour le conseil général des Hauts-de-Seine, présidé par Patrick Devedjian. Après six mois de mobilisation de la ville (pétition de 5 000 personnes, conseil municipal extraordinaire), le département a finalement signé un chèque de 200 000 euros cette année et promis un second versement non précisé l’an prochain.
Cette situation est révélatrice des difficultés rencontrées par ces centres de santé municipaux. Plusieurs rapports officiels reconnaissent l’importance de leur impact social et leur rôle dans le système de soins, alors même qu’aucune loi ne fait obligation aux communes de se préoccuper de la santé de leurs administrés. Quand elles le font, elles comblent des déficiences de l’État, alors même que le gouvernement ne cesse de remettre en cause l’égalité d’accès aux soins. Et l’État, en retour, rechigne à aider les communes dans cette tâche. Les maires de gauche arriveront-ils à sortir de ce cercle vicieux ?