Changer d’ère / Le climat ? Y’à qu’à s’adapter…
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Retrousser ses manches face aux changements climatiques. Modifier la topographie des villes côtières victimes de la montée du niveau de la mer. Adapter les fermes et les exploitations agricoles pour leur permettre de survivre malgré les inondations et les ouragans plus fréquents… Ça, c’est du concret ! Ça, c’est de l’action ! Dans la presse américaine, de plus en plus de reportages montrent des citoyens lassés des grandes discussions théoriques sur le climat. Ils sont fatigués d’attendre que les politiques se mettent d’accord avec les entreprises polluantes, ou que les nations s’entendent sur un compromis a minima pour réduire les émissions de carbone.
Atténuer les changements climatiques ? Ceux qui « croient » à la menace sont de plus en plus fatalistes : il est peut-être possible de minimiser l’ampleur du réchauffement mais, en attendant, il faut agir pour préserver l’existant. S’adapter, quoi ! Limiter les dégâts et, pourquoi pas, en profiter pour repenser la ville, les transports, l’agriculture… Ah, pardon, le coup d’envisager un autre développement, un mode de vie différent, c’est très minoritaire parmi les partisans de l’adaptation.
Un exemple qui fait parler de lui en ce moment : la ville de Norfolk, en Virginie, sur la baie de Chesapeake. On y a enregistré 35 centimètres de hausse du niveau de la mer depuis 1930, la plus forte de tout l’est des États-Unis. Responsabilité humaine ou pas, ici, ce n’est plus la question : il faut juste sauver la ville de la noyade. On rehausse des routes, la municipalité va créer des « zones de repli » pour transporter les maisons aux pieds dans l’eau. Elle planche sur le remplacement des constructions en bord de mer par des parcs, permettant l’accès des citoyens au rivage. Un responsable s’enthousiasme des promesses du malheur climatique : « Ce sera du gagnant-gagnant pour l’environnement et notre communauté. » Mieux : Norfolk se dit que, si elle parvient à gérer en douceur cette adaptation à la menace climatique, la ville pourrait servir de modèle à d’autres cités américaines confrontées au même problème.
Tous les tenants de l’adaptation ne sont pas aussi optimistes. Tel ce fermier du Minnesota qui témoigne de façon poignante des drames vécus depuis quelques années : sept années consécutives d’inondations, de récoltes livrées à la moisissure, sans pouvoir bénéficier des subventions dispensées habituellement, car lui cultive des légumes, et non du maïs ou du soja. Alors il s’adapte comme il peut, en déplaçant ses serres sur une pente plus forte ou en drainant davantage. Mais, sauf à changer carrément de culture, il pense que le salut des agriculteurs du Midwest réside surtout dans l’adoption d’une législation anti-CO2 sévère.
L’hebdomadaire britannique The Economist écrivait récemment ceci : « Les écologistes et les politiciens […] ont souvent préféré éviter de s’appesantir sur cette question de l’adaptation, sous le prétexte que plus les gens songeraient à s’acclimater, moins ils seraient motivés pour pousser à des réductions d’émissions. Évoquer l’adaptation, ça a été pendant des années comme de péter à table […]. Maintenant qu’il apparaît évident que peu de monde sur Terre a envie de réduire ses émissions, il devient plus difficile de virer ces gens-là de la table du dîner. »
L’analogie est excellente : on est bien obligé de faire avec ces gaz inconvenants ! Faut-il pour autant renoncer à toute action législative ou accord international ? Non, mais qui y croit encore ? De gré ou de force, nos modes de vie vont changer, ce sera douloureux, adaptation anticipée ou pas. Certains écologistes américains ont pour leur part la confiance chevillée au corps : ils pensent qu’en réalisant que tout n’est pas adaptable, que certains services de base garantissant la qualité de vie auxquels leurs compatriotes sont habitués ne pourront plus être assurés, ces derniers vont finir par exiger des mesures pour limiter les changements climatiques. Et pousser leurs élus à repartir au charbon pour arracher une bonne loi énergie-climat. Cette façon de voir les choses en rose n’a guère de chances de se concrétiser dans les États-Unis d’aujourd’hui.