« La BM du seigneur » : Une révélation ?
« La BM du seigneur », de Jean-Charles Hue, mêle documentaire et fiction dans le milieu des Yéniches.
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Jean-Charles Hue a rejoint le monde des gens du voyage il y a une quinzaine d’années. Plus particulièrement une famille, les Dorkel, appartenant au groupe des Yéniches, le plus répandu en France chez les Gitans. Ce tournant biographique a aussi scellé, du moins jusqu’à aujourd’hui, son destin cinématographique, puisque le cinéaste a déjà réalisé plusieurs courts métrages avec eux ainsi que ce deuxième long, la BM du seigneur .
Jean-Charles Hue pratique donc un cinéma d’immersion, avec des comédiens non professionnels auprès desquels il a construit une fiction, qui s’inspire fortement de leur vie, en particulier de celle de Frédéric Dorkel, un jeune père de famille à qui il arrive cet événement rare d’être littéralement touché par la grâce.
Dans le dossier de presse, le réalisateur insiste sur le fait qu’il n’a pas voulu tricher dans la manière de présenter les Yéniches, qui ont été « peu dépeints » . Assez chatouilleux sur les questions d’honneur familial, d’une religiosité extravertie, ils sont aussi montrés comme vivant plus ou moins de vols de voitures et autres chapardages. De ce point de vue, la révélation qui touche Fred, et qui le rend soudain vertueux, est vécue comme un accroc dans la solidarité du groupe.
La BM du seigneur témoigne d’une incontestable cohérence entre les intentions et les circonstances qui ont présidé à son existence et le résultat à l’écran. La captation des corps et des attitudes des personnages, ou de leur parole (avec des mots qui n’appartiennent qu’à eux), s’avère d’une justesse inouïe. Même si les acteurs ne sont pas toujours convaincants, éclate ici un fort sentiment de vérité.
Pourtant quelque chose se grippe. Sans doute à cause du scénario, trop volontariste : pendant le premier tiers, remarquable, le film s’apparente à une chronique, sans autre enjeu que de se situer au cœur de la famille Dorkel. Puis Frédéric rencontre « un envoyé de Dieu » , qui lui laisse, en témoignage de son passage, un chien blanc. Dès lors, le film s’alourdit d’une dimension religieuse envahissante. Tout devient hypersignifiant : un reflet de ciel dans une flaque d’eau, quelques vers d’une chanson de Renaud ( « Tu ris, tu pleures, tu vis et tu meurs » ), ou le regard du chien, récurrent… Enfin, Frédéric est en proie à un conflit moral avec, au bout, le prix de son salut. Mais cette pesanteur métaphysique n’occulte pas la précieuse singularité de la BM du seigneur . Avec quelques autres films, comme, récemment, la Pivellina , de Tizza Covi et Rainer Frimmel, mêlant aussi documentaire et fiction au sein d’un milieu marginalisé, il montre la voie d’un renouvellement cinématographique, qui s’éloigne heureusement des chemins balisés de l’auteurisme chic.