Le naufrage de la diplomatie française
dans l’hebdo N° 1136 Acheter ce numéro
La diplomatie française s’est une fois de plus distinguée par son cynisme et son incompétence, incapable de mesurer l’ampleur de la contestation tunisienne. Le 10 janvier, cinq jours avant la fuite de Ben Ali, le Quai d’Orsay s’était contenté d’appeler à « l’apaisement » – sans préciser s’il s’agissait de calmer la colère populaire mais pacifique des manifestants ou la brutalité sanguinaire de la police. Puis, le lendemain, par la voix de Michèle Alliot-Marie, de proposer au régime « le savoir-faire de nos forces de sécurité » , histoire de réprimer correctement sans (trop) faire couler le sang. Face aux critiques, plusieurs ministres tentent désormais d’expliquer qu’ils avaient sous-estimé « l’exaspération » du peuple tunisien. Forcément, quand la liberté d’expression est jugulée depuis vingt ans…
Cette exaspération, on la retrouve aujourd’hui chez nombre de défenseurs de la liberté en Afrique et ailleurs, où l’on prend acte du message envoyé : la « patrie des droits de l’homme » ne trouve aucun intérêt à soutenir un mouvement revendiquant davantage de libertés, même s’il est massif. Pire : on se propose même de « l’apaiser » grâce à notre maîtrise du maintien de l’ordre médiatiquement correct. Ce n’est pas nouveau. On sait que la défense des droits humains passe bien après les intérêts commerciaux ou stratégiques de la France, quand elle n’est pas tout simplement oubliée dans le tiroir d’un sous-secrétaire d’État. Problème : même en adoptant une posture « pragmatique » fondée sur la realpolitik, nous atteignons avec l’affaire tunisienne des sommets d’ineptie. Car avec qui, demain, la Tunisie démocratique préférera nouer des partenariats privilégiés ? Avec un pays qui proposait de fournir à la dictature les armes pour survivre, ou avec des États qui se réjouissent de l’ouverture ? L’attitude du gouvernement français démontre aussi les limites du prisme sécuritaire. Quand ce gouvernement ne voit dans le Maghreb qu’un danger migratoire, une menace islamiste et des approvisionnements en matières premières à sécuriser, nous regardons un peuple heureux de s’être libéré.