Le rouge lui va si bien

Avec « le Vrai Sang », Valère Novarina propose une longue mais stupéfiante soirée, métaphysique et clownesque.

Gilles Costaz  • 13 janvier 2011 abonné·es

Le théâtre de Novarina, c’est un défilé, une procession, une théorie de personnages. Des gens qui sortent de la nuit, se posent des questions, donnent des réponses, toujours provisoires, toujours changeantes, repartent dans la nuit. Dans la nouvelle pièce, le Vrai Sang , ces individus s’appellent la Femme en déséquilibre, le Coureur de hop, l’Acteur fuyant autrui, le Bonhomme de glaise, Cafougnol, Fantochard, la Femme en terre crue, l’Homme hors de lui, le Vivant malgré lui, l’Ouvrier du drame… Longtemps, les héros de Novarina, antihéros bien sûr, dérisoires fantoches mais jamais fantômes abstraits, entraient en scène pour s’interroger sur le sens du monde, multipliant les explications drolatiques afin de mieux souligner le silence inexplicable dans lequel ils se débattaient en inventant des milliers de noms pour concurrencer le monde opaque et mal nommé de la création terrestre.

Le théâtre de l’auteur du Discours aux animaux fonctionne toujours ainsi, mais il a évolué. D’abord il est devenu de plus en plus comique parce qu’il a fait entrer l’actualité, notre vie, les ridicules d’aujourd’hui dans ce climat de nuit des temps. Ensuite, il est devenu de plus en plus soucieux de la question du créateur, allant vers plus de spiritualité et donnant plus de chances à Dieu d’exister qu’il n’en donnait dans les premiers textes.

Le Vrai Sang reprend et amplifie le déroulement forain qui a toujours été présent mais n’a cessé de se développer à l’intérieur d’une œuvre dont la gravité s’accompagne d’une chasse féroce à la pompe, à la solennité et au dogmatisme. L’on est ici dans un cirque métaphysique où chaque scène est simple et bête comme chou à la manière des entrées de clowns, et où pourtant tout renvoie au plus profond savoir humain. Tout peut être lu comme une parodie des récits bibliques et des grands textes spéculatifs. La bouffonnerie habille et dévoile les thèmes mythiques : le sacrifice, les passions hors normes, les pulsions de vie et de mort, l’animalité de l’humain… C’est à prendre (ou à rejeter, pour les allergiques) en bloc.

Cette fois, les errants et revenants sont à peu près tous vêtus de rouge – rouge du sang, rouge de la révolte, rouge du clown – et se déplacent dans une sorte de forêt qui est la peinture même de Novarina – coulées de noir et de vert, lignes de ténèbres et d’éclairs – et qui a été transformée en espace par le scénographe ­Philippe Marioge.

On pourra faire des réserves, essentiellement sur la durée de la soirée (2 h 40, 20 minutes de plus que ce qui est indiqué à l’entrée !). Mais c’est, de toute façon, un moment exceptionnel, car ce qui se passe là est sidérant et tout à fait unique. Renouvelée par l’arrivée d’acteurs venant d’autres horizons (Olivier Martin-Salvan, Norah Krief), la troupe de Novarina (Agnès Sourdillon, Christian Paccoud, Dominique Parent, Manuel Le Lièvre, Nicolas Struve, Valérie Vinci, Myrto Procopiou) n’est composée que de géniaux hurluberlus, chacun participant à cette totale réinvention du langage théâtral.

Culture
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