Le Sud-Soudan décide de son avenir
Après deux décennies de guerre civile qui ont laissé le pays sinistré, trois millions d’électeurs sont invités à se prononcer le 9 janvier sur leur indépendance.
dans l’hebdo N° 1134 Acheter ce numéro
Le référendum d’autodétermination qui aura lieu le 9 janvier est la conséquence des accords de paix signés en janvier 2005 entre le gouvernement de Khartoum et l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLA) après vingt et une années de guerre, deux millions de morts et plus de trois millions de réfugiés et déplacés. Malgré une paix relative au sud (le Darfour, à l’ouest, est ensanglanté par une guerre civile chronique depuis 2003), toute la région reste humainement, économiquement et écologiquement ravagée alors que des centaines de milliers de réfugiés tentent de revenir sur les terres dont ils ont été chassés. L’argent du pétrole désormais promis à un partage entre le Nord arabe et musulman et le Sud noir, animiste et chrétien ne suffira pas, avant longtemps, pour restaurer les écosystèmes détruits et abandonnés. De nombreuses villes n’ont toujours pratiquement pas d’électricité. Le taux d’analphabétisme dépasse 80 %. Les enfants enrôlés de force dans les combats devront être « rééduqués ». Le recensement des milliers de puits abandonnés ou sciemment empoisonnés s’éternise depuis février 2005.
L’essentiel de ce territoire est sinistré au dernier degré. Les raids, les attaques des uns, la résistance des autres, les pillages, les combats, des heurts récents malgré la paix, la destruction systématique ou l’empoisonnement méthodique des points d’eau ont fait du Sud-Soudan un univers qui ressemble de plus en plus à un désert. Nul ne sait, par exemple, comment remettre en culture des régions verdoyantes, comme celle de Tali, au nord de Juba, la capitale. Cette bourgade reste ceinturée de champs de mines qui s’étendent jusqu’à une centaine de kilomètres. Parcourir cette région richement dotée en ressources pétrolières permet de comprendre l’ampleur du désastre qui l’a frappée. En cas de « oui » à l’indépendance, les problèmes des Sud-Soudanais seront donc loin d’être résolus.
Nul ne sait encore comment les résultats du scrutin seront accueillis par le président Omar el-Béchir, toujours sous le coup d’une inculpation pour crimes de guerre et crime contre l’humanité. La Cour pénale internationale a annoncé mi-décembre qu’elle enquêtait sur ses comptes à l’étranger, dont les montants avoisineraient les 7 milliards d’euros. Si le Sud-Soudan choisit l’indépendance, le gouvernement de Khartoum devra renoncer à une partie de la manne pétrolière. Le contrôle de certains gisements situés sur la ligne de démarcation, notamment celui de Heglig, où un consortium chinois produit la moitié de l’or noir soudanais, a été l’objet de nombreuses tensions depuis la signature des accords de paix. La séparation marquera également la fin de la précaire Constitution soudanaise « multiethnique » et « multiconfessionnelle » : Omar el-Béchir a déjà prévenu qu’il respecterait la décision du Sud mais qu’en conséquence il introduirait la Charia dans la Constitution du reste du pays, « débarrassé » de ses minorités chrétienne et animiste. Au sud, Salva Kiir a succédé au chef historique du SPLA, le colonel John Garang, mystérieusement mort dans un accident d’hélicoptère du gouvernement soudanais en juillet 2005 alors qu’il venait d’être nommé vice-président du pays en garantie des accords de paix.
Que fera l’ancien guérillero de la création du nouvel État souverain ?
Si cette indépendance est proclamée en juillet prochain, le précédent sera important pour l’Afrique puisque ce serait la première remise en cause des frontières coloniales reconnues par la communauté internationale. Une évolution qui pourrait servir d’exemple à des minorités dans d’autres pays. On pense évidemment au Sahara occidental, qui attend depuis trois décennies la possibilité de se prononcer sur son avenir au sein ou en dehors du Maroc. Mais également aux vastes pays minés par l’absence de partage des richesses et des guérillas plus ou moins manipulées par des intérêts économiques extérieurs, comme le Nigeria, avec les Ogonis au sud, la République démocratique du Congo, démantelée de fait par de multiples féodalités, ou la Côte-d’Ivoire, si la voie démocratique ouverte par l’élection présidentielle se révèle être une impasse pour réconcilier nord et sud du pays.