Les banques contre le logement social

Le gouvernement envisage de détourner une partie de l’épargne populaire au profit des banques privées. Et au détriment du financement des HLM et des PME.

Thierry Brun  • 6 janvier 2011 abonné·es
Les banques contre le logement social
© Photo : VENANCE / AFP

Le secteur du logement social a des raisons d’être inquiet de la volonté gouvernementale de revoir la collecte du Livret A. L’Union sociale pour l’habitat (USH) et le collectif « Pas touche au Livret A », qui réunit des organisations syndicales et associatives, dont Droit au logement et la Confédération nationale du logement, s’élèvent contre une réforme de l’épargne populaire destinée au financement du logement social en France.
Deux projets de décret sont en effet entre les mains des commissions des Finances de l’Assemblée nationale et du Sénat, qui ont prévu des auditions les 11 et 12 janvier. Mais, sans attendre l’issue de ces consultations, le collectif soupçonne fortement les patrons des grandes banques commerciales de vouloir « détourner dans leurs caisses, sans contrepartie ni contrôle, une partie croissante des 260 milliards de ressources d’épargne populaire (Livret A et Livret de développement durable) » .

Sont montrés du doigt la BNP Paribas, le Crédit agricole, la Société générale et le patron de la BPCE, François Pérol, qui est aussi le président de la Fédération bancaire française (FBF). Car la fine fleur du secteur bancaire privé est en passe d’obtenir qu’un décret modifie la centralisation de l’épargne des livrets réglementés, en contrepartie d’une baisse de la commission versée aux banques sur les sommes collectées au titre du Livret A. Le gouvernement, à court de recettes budgétaires, a en effet inscrit cette baisse de commission dans la loi de finances pour 2011. Il « a eu l’idée d’augmenter les bénéfices futurs en baissant à 0,5 % le taux de commissionnement des banques distributrices (fixé en 2008 à 0,6 %). Il a inscrit le bénéfice escompté dans la partie recettes du projet de loi de finances pour 2011 » , a relevé l’USH. De quoi mécontenter le secteur bancaire, qui y perd quelques millions d’euros.

Une autre raison pousse les banques commerciales à faire pression sur le gouvernement pour obtenir une part accrue de l’épargne du Livret A : « À l’approche de l’entrée en application des nouvelles normes comptables et de contrainte de solvabilité, ­conséquence de la crise financière de 2008, le secteur bancaire veut récupérer l’épargne des livrets pour augmenter ses réserves, et pour éviter de faire appel aux actionnaires » , pointe Jean-Philippe Gasparotto, secrétaire général de la CGT Caisse des dépôts (CDC) et un des porte-parole du collectif « Pas touche au Livret A ». D’où les pressions exercées par les banques commerciales ces dernières semaines, et des déclarations publiques qui ont semé le trouble. Le Crédit agricole a prophétisé un « coup fatal » porté au Livret A si la centralisation de la collecte était toujours en grande partie destinée au fonds d’épargne de la CDC, qui n’est autre que la banque de l’État. De son côté, François Pérol s’est dit favorable à un taux de centralisation « le plus bas possible » , jugeant qu’ « il n’y a aucune utilité à permettre [à la CDC] de faire plus » . Aux petits soins pour les banques, Bercy a donc rédigé un texte sur mesure et voudrait régler cette affaire avant le mois de mai, date retenue par le gouvernement pour l’entrée en vigueur des décrets.

Comment Bercy a-t-il organisé le bradage du financement du logement social ? En l’état, l’un des deux décrets n’oblige plus les banques à répondre aux exigences de garantie du fonds d’épargne de la CDC, qui est pourtant une nécessité pour que les petits épargnants puissent retirer leurs fonds à tout moment. Ainsi, ce fonds ne pourrait plus disposer d’une centralisation du Livret A et du Livret pour le développement durable (LDD) supérieure ou égale à 125 % des encours de prêts accordés pour la construction et la réhabilitation de logements sociaux, comme c’est stipulé par la loi de modernisation de l’économie de 2008 (voir encadré). C’est « un jackpot pour le milieu bancaire » , critique le collectif.

La CDC est, elle aussi, très remontée contre le texte : « Les 125 % risquent fort, dans la pratique, de se transformer en plafond »  ; de plus, « rien ne permet de dire dans le décret que le taux de centralisation sera effectivement porté à 70 % » , a estimé Augustin de Romanet, directeur général de la CDC. « Pourtant, toutes les évaluations réalisées, tant par la Cour des comptes que par l’Union sociale pour l’habitat ou par la Caisse des dépôts font état de la nécessité absolue de centraliser à la CDC plus de 70 % de cette épargne, au risque de mettre en cause à court terme le financement et donc la réalisation de programmes de constructions » , souligne le collectif.

Pas à une contradiction près, Christine Lagarde, s’était pourtant engagée à plusieurs reprises devant les parlementaires à fixer un taux de centralisation à la CDC de 70 % lors du débat sur la loi de modernisation de l’économie. Or, selon la CDC, le taux de centralisation des dépôts du Livret A et du LDD a décru de 70 % fin 2008 à 62 % en 2010. De plus, les banques revendiquent une baisse du taux de centralisation à 50 % (soit 30 milliards d’euros de plus pour elles), voire moins, et « compromettent l’avenir du logement social puisque même les prêts en cours seraient menacés » , insiste la CGT de la Caisse des dépôts.

Dans les années à venir, les conséquences seront désastreuses, anticipent les organismes de logements sociaux. « Il apparaît un risque élevé d’insuffisance de liquidités pour le fonds d’épargne [de la CDC] à moyen (2020) et même à court terme (2014 voire 2013), si des dispositions ne sont pas prises pour assurer une centralisation suffisante », alerte l’USH, dont les estimations conduisent « à un taux nécessaire en 2020 entre 76 et 95 %, suivant les hypothèses de collecte. En effet, l’USH a envisagé parmi ses hypothèses celle d’une stagnation de la collecte. On ne peut en effet exclure soit des à-coups dans le comportement des détenteurs de livrets, soit un “siphonage” vers d’autres produits bancaires » . Le collectif « Pas touche au Livret A », qui compte dans ses rangs des syndicats du secteur bancaire ainsi que des associations de locataires et de mal-logés, a pour sa part demandé à être reçu en délégation par les commissions des Finances de l’Assemblée nationale et du Sénat pour défendre la cause du logement social.

Pour l’instant, le gouvernement a tranché en faveur du secteur bancaire. Pour justifier ce choix devant l’Assemblée nationale, Luc Chatel, ­mi­nistre de l’Éducation nationale et porte-parole du gouvernement, a argué que le gouvernement a obtenu « de vrais résultats »  : « Nous avons construit cette année trois fois plus de logements sociaux qu’au début des années 2000 » , et opposé les besoins de financement du logement social à ceux des PME.

Malgré une certaine augmentation du nombre de logements sociaux construits ces dernières années, « on reste loin de l’objectif de 120 000 logements par an fixé par le plan ­Borloo , relève la CGT de la Caisse des dépôts. La crise du logement touche de nombreux territoires. Les besoins sont toujours aussi criants et se sont même encore aggravés. Le montant des loyers demeure insupportable, particulièrement pour les ménages à revenu modeste. Après la ponction prévue dans la loi de finances sur les organismes HLM, accepter la demande des banques aggraverait encore la situation » . Ainsi, le gouvernement n’a pas hésité à ponctionner 340 millions d’euros sur le dos des organismes HLM, ce qui représente 20 000 logements locatifs en moins sur les 100 000 prévus… Ira-t-il jusqu’au bout de cette logique ?

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