Les pistes de ski sur la mauvaise pente

Menacées par le réchauffement climatique, les stations de sports d’hiver sont tentées par la surenchère technologique. Une conversion écologique est pourtant possible.

Jean Sébastien Mora  • 6 janvier 2011 abonné·es
Les pistes de ski sur la mauvaise pente
© Photo : CLATOT / AFP

L’année 2010 a été marquée par la prolifération de séminaires consacrés au développement durable dans les stations de sports d’hiver. De fait, le coup d’envoi de la saison a débuté avec un catalogue de bonnes intentions qui dissimule parfois des réalités de terrain allant à l’encontre des préconisations affichées. L’histoire du ski, c’est en effet la multiplication de barres de logements et de télésièges énergivores, une consommation en eau toujours plus grande, mais aussi la destruction de la biodiversité, voire de la montagne lorsqu’il s’agit de faire sauter des barres rocheuses à coups ­d’explosifs.

« Nous sommes passés d’une activité économique de complément, exercée au niveau local, à une activité se référant de plus en plus à un modèle industriel, utilisant les hommes et les ressources à de pures fins de rentabilité » , dénonce Jean-Pierre Lamic dans Sports d’hiver ­durables [^2].

Or, les professionnels du tourisme de montagne savent que leur activité se complique à cause du réchauffement climatique. Le Centre d’étude de la neige de Grenoble constate que l’augmentation de la température dans les Alpes double au regard de la moyenne mondiale. La ligne d’enneigement remonte, condam­nant à terme les stations situées en dessous de 1 800 m. Selon l’OCDE, une hausse de la température moyenne mondiale de 1 °C entraînerait une baisse de 60 % du nombre de domaines skiables européens. « Même s’il tombe, l’or blanc demande ­désormais un entretien et des moyens plus importants. La période d’enneigement se réduit. Or, il faut au moins cent jours de ski ouvrables pour ­rentabiliser les investissements » , explique Pierre Chaix, professeur d’économie à l’université Pierre-Mendès-France de Grenoble. En effet, des mesures effectuées au col de la Porte (1 320 m, en Isère) montrent une diminution d’un mois de la durée d’enneigement et une réduction de la hauteur moyenne de la neige de 14 cm par décennie de 1960 à 2007.

La France domine toujours le marché européen du ski grâce à ses 25 000 hectares de pistes, mais la hausse de température et la crise énergétique sont venues fragiliser un modèle de développement urbain transposé à la montagne. Pour beaucoup, une crise structurelle couve : « Les stations de sports d’hiver poursuivent leur logique de fuite en avant, caractérisée par des investissements records de 300 millions d’euros » , déplore Emmanuel Carcano, auteur en 2003 de Snow Business [^3]. En France, les ­investissements correspondent en moyenne à 29 % du chiffre d’affaires des stations. Mais une bonne part est désormais consacrée à la neige de culture. De fait, en 2010, les stations n’ont jamais été aussi polluantes. La puissance électrique totale des installations a triplé depuis 1980 pour atteindre 450 MW aujourd’hui. 14 % de l’énergie est absorbée par la fabrication de la neige artificielle [^4]. De plus, la mise en place massive des canons à neige entraîne le gaspillage d’une très grande quantité d’eau : près de 95 millions de m3 par an selon la Commission internationale pour la protection des Alpes (Cipra), soit environ la consommation de la ville de Lyon. Dans son bilan 2007, l’Institut français de l’environnement (Ifen) soulignait une perturbation forte des systèmes hydrologiques et des écosystèmes, puisque l’eau prélevée n’est que partiellement restituée, et avec un décalage de saison.

La construction de retenues ­collinaires fait également polémique puisque les sites d’implantations favorables sont des zones humides, riches d’un point de vue faunistique et floristique. Par ailleurs, « si l’on a presque cessé de construire des stations de ski depuis le début des ­années 1990, les aménagements sont allés bon train à travers les interconnexions entre les domaines skiables », remarque Christophe Gauchon, géographe à l’université de Savoie-CNRS. La liaison récente Les Arcs-La Plagne signe cette course au gigantisme, en dépit des alertes climatiques et économiques.

L’activité touristique centrée sur le ski alpin semble aujourd’hui antinomique avec l’affichage d’un développement durable. D’autant que, pour maintenir l’activité, les stations françaises pratiquent des hausses de tarif qui rendent la pratique de ce sport inaccessible au plus grand nombre. « Promue à l’origine par les pouvoirs publics, l’activité ne s’est pas démocratisée, bien au contraire » , souligne Pierre Chaix. Si l’on compte le logement, le prix des forfaits et des locations, une semaine de vacances coûte au minimum 1 500 euros à une famille de quatre personnes. Ainsi, la part de Français jouissant de la glisse a baissé depuis vingt ans pour atteindre 8,2 % en 2009 [^5], et la saison 2010-2011 débute à nouveau avec une baisse de fréquentation. Les plus assidus au ski sont ­désormais les cadres disposant de plus de 3 000 euros de revenus par mois. « Faut-il rappeler que les piliers du développement durable sont l’environnement mais aussi l’économie et le social ? Au regard des investissements colossaux, à terme, l’évolution de la clientèle ­posera le ­problème de la relève » , prévoit l’économiste. Le choix de certaines stations de lorgner vers une clientèle étrangère fortunée l’indique clairement. Megève ou Courchevel ciblent désormais les nouveaux riches d’Europe de l’Est. On y ouvre certaines pistes la nuit à l’usage exclusif d’un groupe d’amis, on y confectionne des skis en ébène ou en or blanc incrustés de diamants [^6].

Cet élitisme pose aussi la question du rôle des pouvoirs publics, qui, soucieux de maintenir des emplois, défendent à tout prix l’activité touristique. L’État et les collectivités ­territoriales continuent de financer l’accès routier et les grosses infrastructures des stations. Sur la période 2007-2013, le plan tourisme du département de la Savoie s’est vu attribuer un montant annuel de 60 millions d’euros, dont 23 millions destinés aux stations. Car les politiques sont aussi responsables : en 2010, l’extension du réseau d’enneigement artificiel était toujours définie comme prioritaire.

[^2]: Sports d’hiver durables. Les pistes du possible, Jean-Pierre Lamic, éd. Yves Michel, 2010.

[^3]: Snow Business. Stations de ski, enquête sur l’envers du décor, Emmanuel Carcano, Tetras éditions, 2003 (épuisé).

[^4]: Selon le Service technique des remontées mécaniques et des transports guidés.

[^5]: Source : Odit France.

[^6]: 48 000 euros l’unité, 600 paires vendues à Courchevel l’année passée.

Écologie
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