Lutte des tables
dans l’hebdo N° 1135 Acheter ce numéro
Cocorico ! Forcément, depuis que les Bleus ne gagnent plus la Coupe du monde de foot, il faut bien trouver des motifs de fierté. A fortiori en période d’identité nationale. D’où l’idée d’inscrire la gastronomie française au patrimoine immatériel de l’Unesco. Idée menée notamment sous la houlette de Jean-Robert Pitte, ancien président de Paris-IV Sorbonne, partisan de la LRU, climatosceptique. Le projet avait été présenté par Nicolas Sarkozy au salon de l’agriculture 2008 (marqué par son « casse-toi pauvre con » ).
7,8 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté en France métropolitaine ; des centaines de milliers se font glaneurs arc-boutés sur les poubelles des supermarchés, autant survivent grâce à l’aide alimentaire. La pitance servie dans les cantines scolaires, les hôpitaux et les prisons est infecte. Peu importe. Les élites françaises se félicitent d’avoir obtenu cette inscription à l’Unesco. De l’Élysée aux cuisines chics jusqu’aux critiques gastronomiques (Perico Légasse ou encore Sébastien Demorand).
Dans ce concert d’indécences, il n’y a guère que François Mailhes, journaliste, chroniqueur gastronomique lyonnais (en terre des Gaules et des gueules, donc), à remettre le couvert en place, souligner là « un débat de riches » . D’autant qu’en réalité « ce n’est pas la gastronomie française qui s’est invitée à la table de l’Unesco. Mais le repas » . Nuance de taille. Ce ne sont pas les étoiles Michelin « mais une tradition de la table, de la noce au repas d’enterrement, en passant par le déjeuner dominical en famille » . Non pas un damier de truffes et saint-jacques mais le haricot mouton et le pot-au-feu. « Une inscription sur les tablettes de l’Unesco au même titre que le tapis azerbaïdjanais, la lutte à l’huile en Turquie, le pain d’épice en Croatie du Nord et… la cuisine traditionnelle mexicaine. »
Et justement, en termes de culture et de patrimoine, François Mailhes publie aujourd’hui un remarquable ouvrage, le Carnet de cuisine de Lyon , dans lequel, entre texte et recettes, il revient sur les racines populaires d’une pratique culturelle gaillarde et fringante. Point de muséification ici ni de discours plastronnant. Parce que cette cuisine tient sur ses origines : un savoir-faire colporté par les « mères lyonnaises », nourrissant généreusement et dans la convivialité. « Des cuisinières jadis employées par la grande bourgeoisie, des femmes d’ouvriers, des filles de la campagne attirées par la ville. » Mijotant le gâteau de foies de volaille, le saucisson chaud et le gras-double. Loin des fastes ronflants.