Mal intégrés, les musulmans ?
L’islam constituerait un frein à l’intégration en France et en Allemagne, d’après une enquête Ifop publiée par « le Monde ». Une nouvelle étape dans le débat sur le communautarisme.
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Mal intégrés, les musulmans ? C’est l’avis de 68 % de Français et de 75 % d’Allemands, d’après un sondage Ifop publié par le Monde le 5 janvier. 42 % des Français et 40 % des Allemands estiment même que la communauté musulmane représente « une menace pour leur pays » . En cause ? Le « refus de s’intégrer » selon 61 % des premiers et 67 % des seconds. Puis de « trop fortes différences culturelles » … Certes, 22% de Français considèrent les musulmans comme un « facteur d’enrichissement culturel » , mais le Monde titrait : « Islam et intégration : le constat d’échec » .
Cette enquête s’inscrit en France dans le creuset du débat faussé sur l’identité nationale, de la crispation autour du voile (52 % contre le port du foulard) et de la polémique autour des prières dans la rue et de l’édification de mosquées (39 % contre). En Allemagne, elle fait suite à un débat houleux provoqué mi-octobre par la chancelière Angela Merkel, annonçant qu’il fallait enterrer le « multikulti » , projet de cohabitation pacifique entre les cultures. Au même moment paraissait un pamphlet raciste signé Thilo Sarrazin, ancien gouverneur de la Banque centrale du pays. Le tout alors que les populismes grimpent en Europe et que l’islamophobie se banalise.
Ce que l’enquête ne précise pas, c’est si l’échantillon (809 personnes) comprend des musulmans. Elle distingue Français et musulmans, Allemands et musulmans, sans indiquer que l’on peut être l’un et l’autre. « On accuse les musulmans de ne pas être totalement français, alors que de plus en plus de Français “de souche” […] assument leur foi musulmane » , rappelle le sociologue Vincent Geisser dans l’Express (6 janvier). Il estime pour sa part que « les musulmans n’ont jamais été autant intégrés » . L’enquête ne porte pas sur les personnes d’origine maghrébine, subsaharienne ou turque, mais bien sur l’islam, définitivement perçue comme la religion de l’étranger. « On passe en outre d’un lien entre immigration et sécurité, immigration et chômage, au lien entre islam et menace identitaire » , précise Jérôme Fourquet, de l’Ifop. « Ce type de sondage laisse davantage transparaître le mal-être de la société française qu’un […] problème d’intégration des musulmans » , ajoute Vincent Geisser. Entre autres explications sur ce « défaut d’intégration » , 18 % des Français et 15 % des Allemands évoquent le racisme et le manque d’ouverture de certains de leurs compatriotes.
Qu’en pensent les musulmans ? « On traverse une période difficile liée à la nouvelle visibilité de l’islam , estime Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman, toujours dans le Monde . Mais les crispations sont principalement dues aux groupes rigoristes qui créent un sentiment de peur. » Il conseille pour sa part aux musulmans d’éviter d’ « attiser les tensions » . « Doit-on tirer un constat d’échec de l’intégration ou cela reviendrait-il à laisser triompher le populisme ? » , interrogeait le 6 janvier Radio Canada, dans ce pays souvent cité comme un modèle d’intégration. Pas de panique ! s’exclamait l’éditorialiste Thomas Legrand sur France Inter le même jour : « 58 % des sondés ont plutôt un avis soit positif, soit neutre sur l’apport de la communauté musulmane au pays. […] On pourrait trouver ces résultats plutôt rassurants. Surtout lorsque l’on s’aperçoit que la crainte des musulmans va croissant en fonction de l’âge des sondés. Ce qui laisse présager une évolution positive. » La manière de présenter les chiffres n’est pas sans conséquences : pain bénit pour le FN, radicalisation ou repli de ceux qui se sentent rejetés.