Un monde irréel

Avec « Bubblegum », Clinic reste fidèle à ses tendances psychédéliques mais diversifie ses couleurs instrumentales.

Jacques Vincent  • 6 janvier 2011 abonné·es

Bubblegum . Étonnant qu’après Mark Lanegan, il y a quelques années, Clinic reprenne cet intitulé désuet d’un genre pop sucrée commerciale de la fin des années 1960 comme titre de son nouvel album. D’autant qu’il ne correspond en rien à la musique de l’un ni des autres. S’il faut qualifier celle de Clinic, le terme « psychédélique » est le seul possible, et le groupe continue de montrer à quel point il est digne de porter cet étendard. On peut même dire qu’il en est aujourd’hui, sinon le seul, du moins le plus remarquable représentant.

Disque après disque – nous en sommes déjà au sixième –, le groupe ne cesse de surprendre et d’impressionner. Car si le genre peut séduire par ce qu’il implique de liberté, autant dans la construction des compositions que dans l’instrumentation, cette liberté a un prix : celui de l’exigence. Il demande une inventivité constante pour conserver la part de mystère qui en constitue l’essence. C’est plus qu’une musique qu’il faut créer : un monde. La gageure est encore plus grande quand il s’agit, comme dans le cas de Clinic, d’évoquer un monde intérieur et de s’en tenir au format classique des chansons de trois minutes. Mais le groupe est passé ­maître dans cet exercice.

On se souvient de sa façon d’utiliser le mélodica, peu courant dans le rock psychédélique, en produisant un son tellement peu orthodoxe qu’il avait plus à voir avec l’effet produit par la cruche électrique des 13th Floor Elevators que par ce qu’on attend en général de cet instrument. La référence n’est pas choisie au hasard ; le groupe de Rocky Erikson, avec lequel Clinic a d’ailleurs joué en 2007, a toujours été une influence majeure. Une influence qui se fait encore sentir ici dans un morceau comme « Baby », où se reflète de manière évidente le « Don’t Fall Down » des Elevators. Eux, en référence à un titre de leur premier album, auraient sans doute parlé de réverbération.

Le mélodica est néanmoins absent de ce nouvel album, et c’est une autre preuve du talent de Clinic que cette capacité à se renouveler tout en ­creusant la même veine. On le voit ici s’éloigner du son garage, remplacer, en matière de pédales de distorsion, la fuzz qui éclabousse par la wah-wah qui ondule, et, surtout, user largement des instruments acoustiques, guitare, dulcimer, voire un ensemble de cordes sur le morceau d’ouverture. C’est un monde flottant qui se dessine, un univers en suspension habité par la voix étranglée de Ade Blackburn, qui finit, comme toujours, de le rendre totalement irréel.

Culture
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